Project Canterbury

 The Conversations at Malines

 Les Conversations de Malines


1921-1925

London/Londres: Humphrey Milford, 1927.


MEMOIRE

Présenté pour les Catholiques à la Conférence de Malines des 11 et 12 October 1926

COMPTE RENDU DES CONVERSATIONS DE MALINES DE 1921-1925

Notre réunion de 1926 a pour objet de récapituler les points abordés et discutés entre Catholiques et Anglicans, sous la présidence de Son Eminence le cardinal Mercier, de 1921 à 1925, et d'arrêter un texte, qui sera communiqué au public sur ce qui s'est dit dans les conférences.

Les Anglicans ont entrepris de rédiger un compte-vendu général offrant aux chefs et aux membres de leur Eglise un récit de leurs rencontres avec les Catholiques en même temps qu'un exposé sommaire des sujets; traités et surtout des observations et explications apportées de part et d'autre.

Les Catholiques ont estimé qu'il n'était pas à propos de composer à leur tour un compte-rendu qui renfermerait inévitablement beaucoup de redites.

Sans doute ils renoncent ainsi à présenter avec tout leur relief les idées et les doctrines qu'ils ont soutenues et qu'ils se sont efforcés de faire saisir dans leur sens précis avec toutes les nuances désirables. Il leur a paru qu'il serait plus utile pour une communication au public, de donner un aperçu synthétique des points de doctrine où les Anglicans se sont accordés avec eux dans des affirmations communes.

Ce faisant, ils suivent la ligne de conduite tracée par Son Eminence le cardinal Mercier dans son admirable lettre à l'archevêque de Cantorbéry, écrite au mois d'octobre 1925'. Puisqu'ils essaient clé mettre le point final à tout ce qui a été traité avec le cardinal Mercier, que peuvent-ils faire de mieux que de réaliser dans la mesure de leurs forces les derniers vux que le cardinal ait exprimés?

Dans sa lettre à l'archevêque de Cantorbéry, le cardinal écarte l'idée de publier les procès-verbaux des conférences. Il tient pour préférable de rédiger deux comptes rendus: l'un qui serait publié et qui présenterait les énoncés sur lesquels Catholiques et Anglicans se sont mis d'accord; l'autre qui demeurerait secret, et dans lequel seraient notés les points où l'accord n'a pas été obtenu, ou dont l'examen aurait été ajourné.

'Des conclusions négatives, disait-il, ne pourraient avoir d'autre effet que de susciter des polémiques de presse, de réveiller des animosités séculaires, de creuser des divisions, au détriment de la cause à laquelle nous avons résolu de nous dévouer.'

'Notre mission, pensait-il, est de mettre progressivement au jour ce qui est de nature à favoriser l'union; ce qui y fait obstacle doit être écarté ou différé.'

C'est donc en nous inspirant de cette idée directrice que nous avons rédigé le résumé suivant de ce qui a été dit et traité dans les conférences et sur quoi l'accord est sensible.

I

Les Catholiques qui ont pris part aux conférences de Malines sous la présidence du cardinal Mercier, sont unanimes à dire que leurs entretiens avec leurs amis anglicans ne les ont pas seulement charmés et édifiés par la sincérité, la liberté d'esprit, l'ouverture d'âme et la cordialité qui n'ont cessé d'y régner; mais que, sans méconnaître la gravité des obstacles qui s'opposent encore à l'union, ils sont remplis d'espérance relativement aux fruits que l'on peut attendre de recherches poursuivies en commun dans une atmosphère de sympathie mutuelle et de confiance.

Leur espérance se fonde sur les résultats déjà obtenus du vivant du cardinal Mercier dans les entretiens qu'il a présidés et dirigés.

Tout d'abord, Catholiques et Anglicans ont également admis cette vérité d'importance primordiale que Jésus-Christ a fondé une seule véritable Eglise: sa volonté est que tous ses fidèles demeurent unis entre eux dans une société dont l'unité et la continuité soient visibles et sensibles, et notre devoir à tous est de travailler à maintenir cette unité.

Ils estiment de plus que l'unité de l'Église ne doit pas être simplement extérieure et verbale mais qu'elle doit tenir aussi à quelque chose d'intime et de profond, savoir une foi commune exprimée en des articles qui s'imposent.

La détermination des points de foi commune est chose assez délicate, malgré l'existence chez les Anglicans de formulaires autorisés et des textes liturgiques du Prayer Book.

Cependant l'accord existe incontestable sur les points définis par les premiers conciles cuméniques. Anglicans et Catholiques ont toujours reconnu ces assemblées comme les organes autorisés de l'Église enseignante. Leurs décisions dogmatiques contiennent une expression authentique de la tradition et de la foi de l'Église.

Les Anglicans de nos jours les ont même proposés aux orthodoxes d'Orient comme une sérieuse base d'entente. En acceptant la doctrine des premiers conciles cuméniques, Anglicans et Catholiques sont déjà d'accord, même sans les avoir encore explicitement passés en revue, sur les vérités capitales du mystère de la sainte Trinité: existence- égaïité-consubstantialité des trois personnes dans l'unité de la nature divine, et sur les principaux chapitres de la christologie traditionnelle: Jésus-Christ est Homme-Dieu, possédant les deux natures divine et humaine, sans confusion ni changement, clans l'unité de sa personne qui est la personne du Fils de Uieu.

L'accord s'étend pareillement aux articles des différents Credos: symbole des Apôtres, symbole de Nicée, symbole dit de saint Athanase.

Parmi les moyens de déterminer les vérités de foi dans l'Église de Jésus-Christ, Anglicans et Catholiques donnent une place éminente à l'Écriture Sainte. Si dans l'Église catholique l'argument de tradition joue un plus grand rôle que dans l'Anglicanisme, la tradition n'est cependant pas méconnue chez les Anglicans, puisqu'ils admettent que l'Écriture a besoin d'être interprété, qu'il appartient à. l'Église seule d'en donner une interprétation qui fasse loi pour tout ce qui touche la foi et les murs. Pour s'aider dans cette tâche, elle recourt aux Pères de l'Église dont elle consulte les uvres.

Une définition de foi, de quelque manière qu'elle soit faite, n'a pas pour objet de formuler un dogme qui serait inventé, étranger à l'Écriture ou à la tradition de l'Église, mais seulement de déclarer explicitement et avec autorité, sur un point donné, ce qui est de la foi commise par Jésus-Christ à la garde de son Église.

Des explications échangées, il résulte que les trente-neuf articles ne constituent pas, autant que le craignaient les Catholiques, un obstacle insurmontable à l'entente des deux Églises. Parmi les Anglicans, en effet, il est des théologiens qui croient pouvoir donner à ces articles une interprétation qui les concilierait avec la doctrine du concile de Trente (ainsi pensaient le Dr. Pusey et le Dr. Forbes, évèque de Bréchin). De plus, le clergé anglican, lorsqu'il adhère à ces articles, ne se considère pas pour autant comme obligé 'd'accepter toutes et chacune des propositions qui s'y trouvent', enfin beaucoup d'Anglicans et spécialement les membres de l'Église épiscopa-lienne d'Amérique les considèrent simplement comme périmés.

II

Si, de ces considérations générales, on passe au détail des institutions sacramentelles, et à leur efficacité comme moyen de sanctification pour les âmes, l'accord s'établit sans beaucoup de difficultés sur les points suivants:--

1. Le baptême donne l'entrée dans l'Eglise, et l'initiation que constitue le baptême doit se développer dans une vie sociale organisée.

2. La vie sociale des chrétiens s'organise autour d'une hiérarchie épiscopale.

3. La vie sociale organisée se manifeste dans l'Église par l'existence et l'emploi des sacrements.

4. Dans l'Eucharistie, le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ 'sont vraiment donnés, pris et reçus' par les fidèles. Par la consécration, le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ.

5. Le sacrifice de l'Eucharistie est le même sacrifice que celui de la croix, mais offert d'une manière mystique et sacramentelle.

Les Anglicans s'étant particulièrement référés, pour leur doctrine sur l'Eucharistie, à la lettre que publièrent les archevêques anglais en réponse à la Lettre encyclique de Léon XIII sur les ordinations anglicanes, nous mettons en note la. citation qu ils ont déclarée être une expression particulièrement autorisée de leur véritable sentiment.

6. La communion sous les deux espèces a été en usage dans l'Église universelle, et réduite, pour des raisons pratiques, donc contingentes, à la communion sous une seule espèce.

Il en résulte que la pratique de la communion sous les deux espèces n'est pas affaire de doctrine mais de discipline ecclésiastique.

7. Dans les deux Églises, il existe un ministère et une discipline de la pénitence qui comporte une réconciliation du pécheur avec Dieu par le moyen de l'absolution sacramentelle que le prêtre prononce sur le pécheur.

[Nous enseignons en outre un véritable sacrifice île l'Eucharistie et nous ne le regardons pas comme 'une simple commemoraison' du sacrifice de la croix (opinion qui semble nous être imputée par le Concile que nous venons de citer). Mais dans la liturgie dont nous usons à la célébration de la sainte eucharistie, élevant nos curs à Dieu et alors consacrant les dons qui ont été précédemment offerts, et les consacrant pour qu'ils nous deviennent le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, nous exprimons ainsi suffisamment le sacrifice qui s'accomplit à ce moment même. En effet, la mémoire perpétuelle clé la précieuse mort du Christ, qui est notre avocat auprès du Père et qui est la propitiation pour nos péchés jusqu'à son avènement, est ce que nous célébrons conformément à son précepte.

[Premièrement donc nous offrons un sacrifice de louange et d'action de grâces; mais ensuite nous posons devant le Père et lui rendons présent le sacrifice de la croix, et par lui nous obtenons la rémission des péchés et tous les autres bienfaits cie la passion du Seigneur pour toute l'Église universelle; enfin nous offrons au Créateur de l'Univers le sacrifice de nous-mêmes, sacrifice que nous avons exprimé par les offrandes de ses créatures. Toute cette action, dans laquelle le peuple prend nécessairement sa part avec le prêtre, nous avons coutume de la nommer 'sacrifice eucharistique'.

[Voici le texte latin originel:

[Eucharistiae etiarn sacrificium vere docemus, née sacrificii crticis nudam esse commemorationem credimus, ut Concilio illo citato nobis videtur imputari. Satis tamen credimus in liturgia nostra qua in S. Eucharistia celebranda utimur-- corda habentes ad Dominum, et mimera quae antea oblata sunt iam consecrantes, ut nobis corpus et sanguis fiant Domini Nostri Jesu Christi--sacrificium quod ibidem fit ita signifîcare. Mcmoriam scilicet perpetuam pretiosae mortis Christi, qui Ipse est Advocatus noster apud Patrem et propitiatio pro peccatis nostris usque ad Adventum Eius secundum praeceptum Eius observamus.

[Primo enim sacrificium laudis et gratiarum offedmus: turn vero sacrificium Crucis Patri proponimus et repraesentamus, et per illud remissioncm peccatorum et omnia alia Dominicae passionis bénéficia pro tota et universa Ecclesia impetra-mus: sacrificium denique nostrum ipsorum Creatori omnium offerimus, quod per oblationes creaturarum Ipsius significavimus. Quam actionem totam. in qua plebs cum sacerdote partem suam necessario sumit, sacrificium Eucharisticum solemus nominare.

[(Responsio archiepistoporum Angliae ad litteras apostolicas Leonis Papae XIII de ordinationibus anglicanis, p. 16.)]

Quoique l'emploi du sacrement de pénitence avec absolution sacramentelle soit beaucoup plus étendu dans l'Eglise catholique, cependant les formules du Prayer Book, aussi bien dans l'ordre du service de la communion que dans l'ordre de la visite des malades, ne laissent pas de doute sur la croyance de l'Église anglicane à cet égard et sur la possibilité laissée à ses fidèles de recourir à l'absolution sacramentelle pour se réconcilier avec Dieu lorsqu'ils ont commis une faute grave.

8. Quant au sacrement des malades, si l'accord est moins sensible il est à remarquer qu'une tendance existe chez les Anglicans à faire revivre l'ancien usage de conférer l'onction aux infirmes.

De nouvelles rencontres entre Catholiques et Anglicans sont souhaitables pour éclaircir ces affirmations générales et éviter toute ambiguïté et méprise sur leur signification profonde. Toutefois, il ressort des explications échangées une impression très encourageante, sur la possibilité d'une mise au point satisfaisante quant à la doctrine des sacrements comme moyens de grâce et de vie spirituelle.

III

S'il n'a pas été question du sacrement de l'ordre, dans cette revue des institutions sacramentelles, ce n'est pas que les deux églises ne reconnaissent son existence et ne pratiquent l'imposition des mains comme étant un rite essentiel pour la collation des ordres sacrés. Mais il a semblé à propos de s'en tenir provisoirement à considérer la démarche de haute portée qu'ont accomplie les évêques anglicans dans l'appel de Lambeth en 1930, lorsqu'ils se sont déclarés prêts, en vue de l'union, à accepter des autorités des autres églises ce que celles-ci jugeraient nécessaire pour que le ministère du clergé anglican fût reconnu par elles.

D'après une déclaration autorisée, la pensée première des évêques anglicans était de régler leur situation à l'égard des églises qui ne possèdent point de hiérarchie cpiscopale prèsbytériens d'Ecosse, par exemple, wesleyens, méthodistes, etc. Les anglicans leur eussent conféré une ordination épiscopalc, et ils eussent accepté en retour telle forme de reconnaissance qui eût paru nécessaire pour établir, au bénéfice de leurs fidèles, l'intercommunion de ces différentes églises. Cependant l'offre des évèque.s anglicans n'excluait pas l'idée d'une entente avec les églises constitutées autour d'une hiérarchie épiscopale. Elle semblait même y conduire. Si toutes choses par ailleurs étaient réglées relativement à la doctrine, et si l'accord était conclu sur un régime disciplinaire, il n'y aurait pas de difficulté de la part des évèques anglicans à accepter tel élément d'ordination qui paraîtrait nécessaire à l'Église romaine pour mettre hors de doute, aux yeux de tous, la validité de leur ministère (ministry).

L'Église catholique prend toujours le parti le plus sûr en matière de sacrements. Elle réordonne ses propres prêtres et évèques dès qu'il y a un doute sérieux sur l'exacte observation des rites traditionnels de ses ordinations. Ses précautions prudentes ne sont pas une manifestation de défiance à l'égard des personnes mais une mesure de sûreté en faveur des fidèles.

Les évèques anglicans ont ouvert une voie de résolution pratique dans une affaire particulièrement épineuse, et les catholiques rendent hommage au sentiment très élevé qui a inspiré l'épiscopat anglican dans cette circonstance, et à son esprit de sacrifice en vue de l'union.

IV

A la différence des églises non-conformistes, l'anglicanisme et le catholicisme ont ce caractère de se gouverner par un épiscopat. La hiérarchie est pour eux un trait essentiel de l'Eglise.

Selon leur doctrine commune, la hiérarchie doit venir en droite ligne des apôtres par la succession ininterrompue des évèques leurs héritiers et continuateurs. L'institution des évèques est de]droit divin. Même dans la conception catholique, de quelque liberté que le pape jouisse pour limiter en certains cas les pouvoirs des évèques en vue du bien général, il ne lui appartient pas de supprimer l'épiscopat et ce serait attenter à la constitution divine de l'Eglise que de prendre des mesures qui, sans le supprimer, l'annuleraient pratiquement.

Les évèques ont une juridiction immédiate et ils sont, de par la volonté du Christ, en tant que successeurs des apôtres, pasteurs ordinaires des fidèles dans leur territoire. Ils font partie de droit des conciles généraux où ils sont témoins et organes de la tradition et juges de la foi.

V

Sur la situation spéciale du pape dans l'Église, les divergences des croyances et opinions sont plus graves et plus difficiles à réduire. Cependant les conversations de Malines ont permis aux Catholiques de s'expliquer sur le sens précis de leurs affirmations doctrinales quant aux pouvoirs du pape et quant aux conditions dans lesquelles ces pouvoirs sont exercés. Les Anglicans d'autre part se sont exprimés en termes qui, sans dire tout ce que pensent et croient les Catholiques, nous semblent justifier beaucoup d'espérances.

Son Eminence le cardinal Mercier introduisit en quelque sorte le sujet, et s'étendit sur l'impossibilité pour une société de vivre sans un chef (caput):--'Même si nous faisions abstraction de la preuve tirée des Livres Saints et de la tradition pour démontrer que le Christ a fait reposer positivement l'unité de l'Église sur la tête de Pierre et de ses successeurs, nous pourrions déclarer a priori que la sagesse providentielle se devait de réaliser sur une tête l'unité de l'Autorité dans l'Eglise. Sans doute, l'épiscopat peut être un agent d'unification, mais les évèques eux-mêmes qui devaient après plusieurs siècles arriver au nombre d'un millier et au-delà ne sont-ils pas exposés à se diviser entre eux, tout comme les prêtres d'un même diocèse ou les fidèles d'une même paroisse? Quel sera donc le facteur de l'unité? Celui qui dans une famille s'appelle le Père et dans une société le Souverain.'

Au cours des conversations très franches sur le sujet, Anglicans et Catholiques ont exprimé certaines vues communes que nous empruntons soit aux propositions formulées par les uns et les autres, soit à des explications fournies en manière de glose et dont le résumé suivant ne force aucunement le sens: Saint Pierre a été accepté comme chef ou leader parce qu'il a été accepté comme tel par Nôtre-Seigneur.

Le siège de Rome est le seul siège apostolique que connaisse l'Occident. Aucun patriarcat n'y a été constitué à côté de celui de Rome, et le pape, selon le mot de saint Augustin sur Innocent Ier, 'préside à l'Eglise d'Occident '. L'Eglise d'Angleterre, en particulier, doit son christianisme au siège romain lequel, par la volonté de saint Grégoire, lui a envoyé le baptême.

De plus, le pape possède une primauté parmi tous les évèques de la chrétienté: si bien que, sans communion avec lui, il n'est aucune perspective ni espérance de voir jamais la chrétienté réunie; il occupe à l'égard de tous les évèques une position telle qu'aucun autre évèque ne peut en revendiquer une semblable à son égard.
Dès les commencements de l'histoire de l'Église, il a été reconnu à l'évèque de Rome parmi tous les évèques une primauté et un pouvoir de direction générale {leadership}.

Ainsi la primauté du pape n'est pas seulement une primauté d'honneur, elle comporte un devoir de sollicitude et d'action dans l'Église universelle en vue du bien général, de telle sorte que le pape soit effectivement un centre d'unité, une tète imprimant une direction d'ensemble. De fait, c'est grâce à l'action de la papauté que les évèques au moyen-âge ont pu se défendre contre les empiétements du pouvoir civil. Elle a été une garantie pour l'indépendance spirituelle de l'Église. Sur la manière dont le pape a usé de ses pouvoirs dans le passé, les Anglicans émettent quelques réserves, mais reconnaissent que beaucoup de jugements sont à réviser, chez eux, sur l'Église romaine: celle-ci notamment, ils en conviennent, s'est réformée elle-même au concile de Trente.

Si l'on essaie d'aller plus loin, et par exemple de caractériser par des traits particuliers le devoir du pape d'agir pour le bien général de l'Église universelle, si l'on entreprend de détailler les droits qui y correspondent, il se manifeste chez nos amis anglicans quelque répugnance à donner des précisions.

Il peut être utile cependant de reproduire ici quelques-unes de leurs expressions. Elles sont d'un haut intérêt, en ce qu'elles indiquent une même tendance de pensée, une pareille direction de recherche, et qu'elles permettent de présager un accord beaucoup plus étendu dans l'avenir.

Les nuances d'expression ont ici leur importance, à cause du fond qu'elles enveloppent et recouvrent responsabilité spirituelle (spiritual responsibility); pouvoir spirituel de direction (spiritual leadership); surintendance générale (general superintendence}; sollicitude du bien de l'Église universelle (care for the well-being of the Church as a whole]; il semble qu'à travers toutes ces expressions l'esprit s'attache à une conception très positive d'un pouvoir riche de contenu, mais dont on éprouve quelque embarras à circonscrire l'étendue. Des souvenirs anciens ont laissé quelque amertume dans les curs. Plutôt que de revenir sur les chemins du passé, l'esprit essaie de conjecturer les formes que l'action de la papauté pourrait prendre dans l'avenir. Mais ce qui perce à travers ces expressions c'est le sentiment d'une haute mission qui est celle du pape, et qu'à la primauté d'honneur s'ajoute pour lui une 'primauté de responsabilité' (primacy of responsibility).

Sans essayer pour le moment d'ajuster ces expressions au vocabulaire théologique de la doctrine catholique, ne peut-on espérer qu'en approfondissant ces pensées et en explicitant leur contenu, il se fera un rapprochement sensible avec beaucoup de points de la doctrine sur la papauté catholique. Les études poursuivies dans le monde anglican semblent y acheminer. [Tels les articles en cours de publication dans Theology du Dr. Turner sur 'S. Pierre et S. Paul dans le Nouveau Testament et la primitive Église' (août et octobre 1926).]

Des divergences de vues ne pouvaient pas ne pas se produire entre les interlocuteurs de Malines sur la doctrine de la papauté; elles ne sont pas si radicales qu'elles excluent pour l'avenir les perspectives de reprise de la question avec de nouveaux éléments de discussion et des chances sérieuses de progrès dans l'accord des esprits et des curs.

VI

Les vérités'dogmatiques ont retenu principalement l'attention des anglicans et des catholiques à Malines. Cependant les discussions ont également effleuré les questions de discipline. Il est naturel que l'Eglise anglicane, après quatre siècles de séparation, ayant ses habitudes et ses traditions, s'inquiète du régime sous lequel elle pourrait avoir à vivre en cas de réunion.

D'autre part, il ne saurait appartenir à des interlocuteurs catholiques, dépourvus de mandat officiel, d'apporter des promesses qui pourraient devenir l'origine de déceptions graves.

Cependant il leur était possible de dire combien grande est la diversité des disciplines sous lesquelles l'Église a vécu sans dommage pour son unité, et quelle variété d'institutions existe encore actuellement au sein de l'Église catholique malgré l'uniformité progressive à laquelle tend sa législation surtout depuis que le protestantisme l'a contrainte à renforcer sa centralisation administrative. Le respect que Rome témoigne aux Églises orientales, le scrupule avec lequel elle maintient leurs rites, leurs langues liturgiques, leurs droits patriarcaux, leurs coutumes et leurs législations particulières, leur autonomie relative notamment dans l'élection de leurs évêques et de leurs patriarches, dans la gestion de leurs biens, dans la célébration des synodes . . . tout permet d'entrevoir avec quelle largeur d'esprit pourraient être traitées, entre l'Eglise romaine et l'Église anglicane, les clauses disciplinaires de leur union.

Les Anglicans ont insisté sur le fait que l'Église anglicane compte beaucoup de provinces ecclésiastiques et de diocèses en dehors de l'Angleterre et que les évêques en communion avec le siège de Cantorbéry étaient en 1930, à l'époque de l'Appel de Lambeth, au nombre de 368. Il existe déjà dans l'Église anglicane elle-même des diversités importantes, notamment par rapport à l'élection des évêques qui est plus libre dans les colonies anglaises, dans l'Église épiscopalienne d'Amérique et dans les diocèses des missions, que dans l'Angleterre elle-même, où la couronne jouit d'un droit de nomination. Mais l'unité de l'Église est compatible avec une très grande variété de régimes et de formes extérieures.

Les conversations de Malines ont donné à tous leurs participants l'impression qu'à mesure de l'entente progressive et de l'accord sur les doctrines, l'aménagement du régime disciplinaire, si délicat qu'il puisse paraître, s'organiserait de manière satisfaisante. Les Anglicans s'attendent à faire des sacrifices pour l'union. Les Catholiques désirent ménager chez ceux qui viendraient à eux l'habitude de gouverner leurs propres affaires dans tout ce qui ne porterait pas atteinte à l'unité, dont une longue et douloureuse séparation de quatre siècles leur a, après l'Evangile de Jésus-Christ, enseigné tout le prix.


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