Project Canterbury

 The Conversations at Malines

 Les Conversations de Malines


1921-1925

London/Londres: Humphrey Milford, 1927.


APPENDICE III

[En 1925, le cardinal Mercier était en correspondance avec l'archevêque de Cantorbéry quant à la publication de quelque exposé des conversations informelles qui avaient eu lieu. La lettre suivante du Cardinal nous semble assez importante pour justifier sa ] ublication ici.]

Lettre du CARDINAL MERCIER, archevêque de Matines, à l'ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY.

MALINES: le 25 Octobre, 1925.

CHER MONSEIGNEUR,

Lorsque m'est parvenue votre honorée lettre datée du i août 1925, je me fis un devoir de vous en accuser réception tout de suite, mais me suis vu dans la nécessité de vous demander un délai pour en apprécier le contenu. Ce délai s'est prolongé beaucoup au delà de mes prévisions. Néanmoins, habitué vous-même aux soucis et aux besognes d'une grande administration, vous serez indulgent, j'espère, et ne me tiendrez pas rigueur de mon apparente négligence.

A une première lecture, votre lettre ne fut pas sans me causer un certain malaise. Je n'étais pas sûr d'en saisir la pensée intime. Tout le document respirait une bienveillance inaltérée, les appréciations sur le passé ne contenaient rien qui ne fût encourageant, mais les réflexions sur le présent et les perspectives de l'avenir paraissaient se ressentir d'une confiance ébranlée.

Nul, d'ailleurs, ne pourrait en être surpris. En effet, clans un effort de longue haleine tel que le nôtre, si le but poursuivi demeure identique, les moyens de le réaliser varient avec les circonstances et soulèvent à chaque pas de nouveaux problèmes.

A l'intérieur de nos réunions, à mesure que les échanges de vues se prolongent, et que se dessine plus nette la ligne de démarcation entre les articles sur lesquels nous nous sommes trouvés ou mis d'accord et les articles au sujet desquels se déclarent nos divergences, les difficultés du succès final deviennent plus obsédantes et les motifs naturels d'espérer sont moins entraînants.

Au dehors, quand nous prêtons l'oreille à ceux qui nous suivent, nous constatons des impatiences qu'il n'est pas en notre pouvoir de satisfaire et il peut en résulter pour nous, j'entends pour moi-même et pour Votre Grandeur, des impressions d'inquiétude ou de fatigue auxquelles il n'est pas toujours aisé de se soustraire.

Chez nos catholiques romains, cette impatience revêt deux aspects différents.

Les uns, pleins d'ardeur et de sympathie pour notre cause, souffrent de nos apparentes lenteurs et d'un silence qui leur semble fort long. Ils se figurent volontiers que le problème de l'union étant nettement posé, comme le serait une théorème de géométrie, la conclusion affirmative ou négative devrait s'imposer tout de suite. Au pis-aller, se disent-ils, un vote de majorité couperait court aux hésitations. Ils voudraient donc voir les entretiens de Malines marcher plus vivement, et satisfaire ainsi sans délai la curiosité de l'opinion publique. Le retour de l'Angleterre à l'unité serait un spectacle tellement beau, tellement édifiant, que l'on ne saurait assez tôt procurer aux âmes religieuses le réconfort qu'elles en attendent.

D'autres, au contraire, hantés par la politique du 'tout ou rien', n'attachent d'importance qu'au résultat final ou global, grossissent à plaisir les difficultés à vaincre avant d'y parvenir, sous-évaluent le rôle capital de la grâce dans l'évolution de la vie spirituelle, et alors, ne s'appuyant que sur eux-mêmes et sur le sentiment de leur insuffisance, seraient prêts à abandonner tout de suite une tentative dans laquelle, au vrai, ils n'ont jamais eu confiance, qu'au fond du cur ils n'ont peut-être jamais souhaitée, pour le succès de laquelle ils n'ont peut-être jamais prié.

Tous ces impatients, optimistes outranciers ou pessimistes obstinés, vous devez les rencontrer aussi parmi vos ouailles, Monseigneur; ils voudraient obtenir de .nous une solution brusquée et, s'ils le pouvaient, nous mettre en demeure d'en finir au plus tôt.

Mais ne trouvez-vous pas, que ce serait faiblesse de notre part de céder à leurs sollicitations? Nous avons des responsabilités qu'ils n'ont pas et ne comprennent pas. Notre situation nous impose le devoir de considérer la situation générale de plus haut, dans des vues plus profondément surnaturelles. Nous avons des grâces d'état pour diriger les consciences et faire acte d'autorité.

Votre lettre parle de déclarations qu'il y aurait lieu de faire, de statements où seraient résumés et précisés les points sur lesquels l'accord des deux groupes s'est établi, xoù seraient rappelés les points qui sont encore en discussion.

J'applaudis à cette proposition et suis prêt à la mettre à l'ordre du jour de notre prochaine rencontre, qui pourrait avoir lieu, selon le désir exprimé par Lord Halifax, dans la première quinzaine de janvier 1926.

Il y aurait donc deux statements à élaborer, l'un sur nos conclusions acquises, l'autre sur les points litigieux qui ont déjà été partiellement considérés ou sur des sujets nouveaux qui, selon le vu d'un groupe ou à la demande des deux groupes, devraient être encore portés à l'ordre du jour.

Cet examen comparatif montrerait, je crois, Monseigneur, que nos réunions n'ont pas seulement rapproché les curs, ce qui est déjà un résultat très appréciable, mais qu'elles ont, sur des points notables, harmonisé les pensées, réalisé un progress in agreement.

Le statement des accords pourrait, sous une forme explicite, développée, ou sous une forme réduite, être publié. Ce serait un heureux moyen d'entretenir l'intérêt religieux de nos fidèles respectifs.

Mais, à mon humble avis, il serait inopportun de publier le statement des désaccords.

Des conclusions négatives, quelles qu'elles soient, ne pourraient avoir d'autre effet que de susciter des polémiques de presse, de réveiller des animosités séculaires, de creuser des divisions, au détriment de la cause à laquelle nous avons résolu de nous dévouer.

Fidèles à notre point de départ, nous avons à mettre progressivement au jour ce qui est de nature à favoriser l'union; ce qui y fait obstacle doit être écarté ou différé.

Notre pensée, à l'origine, ne fut pas, en effet, d'examiner dans un espace de temps déterminé, quelques questions de théologie, d'exégèse ou d'histoire, avec l'espoir d'ajouter un chapitre d'apologétique ou de controverse aux travaux scientifico-religieux de nos devanciers; non; nous nous sommes trouvés, face à face, hommes de bonne volonté, croyants sincères, qu'épouvantaient le désarroi des idées, la division des esprits de la société actuelle, attristés par les progrès de l'indifférence religieuse et de la conception matérialiste de la vie qui en est la conséquence; nous avions présent à la pensée le vu suprême d'union, d'unité de notre divin Sauveur: nt nnum sint. 'Ah, s'ils pouvaient tous ne faire qu'un!' nous nous sommes mis à l'uvre, sans savoir ni quand ni comment l'union souhaitée par le Christ pourrait se réaliser, mais persuadés qu'elle était réalisable, puisque le Christ la voulait, et que, dès lors, nous avions chacun une contribution à apporter a sa réalisation. L'union n'est pas, ne sera peut-être pas notre uvre, mais il est en notre pouvoir et, par conséquent, il est de notre devoir de la préparer, de lu favoriser.

N'est-ce pas clans ce but élevé, dans un sentiment de foi à la sagesse et à la bonté de la divine Providence, que la Conférence de Lambeth à été instituée?

N'est-ce pas l'unique objectif de notre cher et vénéré confrère qui, depuis plus clé cinquante ans, voue, avec un zèle admirable, son temps, ses forces, son cur, à la cause de l'union?

Il me semble entendre encore le vénéré doyen de Wells nous dire, avec une émotion pénétrante, à l'issue de notre première réunion: 'Depuis quatre siècles, Anglicans et Catholiques romains ne connaissaient que leurs antagonismes mutuels et leurs divisions; pour la première fois, ils se voient pour arriver à se mieux comprendre, pour dissiper les équivoques qui les tiennent à distance les uns des autres, pour se rapprocher du but tant désire de tous: l'unité.'

Et quand le vénéré doyen tenait cet émouvant langage, ce n'est pas notre petit groupe fermé qu'il visait, c'étaient les masses populaires restées croyantes que nous savions tous derrière nous et dont la persévérance dans la Foi au Christ et à l'Église nous est un sujet perpétuel d'angoisse.

Pour ma part, c'est dans cet esprit d'apostolat que j'ai envisagé, dès le premier jour, dans mon entretien avec le vénéré Lord Halifax et avec l'abbé Portai, ma participation aux Entretiens que mes interlocuteurs me témoignaient le désir d'avoir avec nous. Et quand, en janvier 1924, j'ai exposé à mon clergé et a mes diocésains mon rôle clans nos réunions, c'est sous ce jour que je l'envisageais. Je leur ai rappelé alors la parole de Léon XIII: 'Les grands événements de l'histoire ne se peuvent évaluer par des calculs humains.' Et, pressentant, redoutant leur impatience, je leur remis en mémoire l'enseignement de saint Paul sur la source unique de la fécondité de l'apostolat: 'Vous aurez beau planter, arroser vos plantations, un seul peut donner aux organismes leur croissance, c'est Dieu 'Neque qui plantât est aliquid, neque qui rigat: sed qui incrementum dat, Deus' (i Cor. iii. 7). Et j'ajoutais encore ces paroles que je demande à pouvoir répéter ici: 'Vous vous impatientez,' leur disais-je, 'le succès est lent à venir, vos peines vous semblent perdues. Soyez sur vos gardes; la nature et ses empressements vous égarent: un effort de charité n'est jamais perdu.'

Moissonneurs d'âmes, nous avons à semer à la sueur de notre front, et, le plus souvent, dans les larmes, avant que sonne l'heure de la moisson; et quand sonnera cette heure bénie, un autre vraisemblablement aura pris notre place. 'Alius est qui seminat, alius est qui metit' (Ioan. iv. 37).

C'est dans cet esprit de patience chrétienne et de confiance surnaturelle qu'au mois de janvier prochain nous nous retrouverons: contents de peiner et de semer, laissant à l'Esprit Saint et à l'action de sa grâce le choix du jour et clé l'heure de la moisson que nos humbles travaux et nos prières s'efforcent de préparer.

Car, cela aussi, cela surtout, nous devons le dire: nous formons une association d'études, oui, mais davantage encore une association d'âmes dans une prière commune. Le simple fait notoire de l'existence et du renouvellement périodique clé nos réunions est, pour le grand public, une exhortation constante à la réflexion religieuse et à la prière collective pour l'unité.

Agréez, Cher Monseigneur, l'hommage de ma haute considération et de mes sentiments dévoilés.

(signé)
D. J. CARD. MERCIER,
Arch. de Malines.


Project Canterbury