Project Canterbury

Rev. Antoine Verren, Pasteur de l'Eglise Episcopale Française du Saint-Esprit, à New-York. Jugé par ses oevres.

Par P. Barthelemy.

New-York: Chez les libraires, 1840.


UN MOT DE L'AUTEUR.

Relata refero.

Le hazard a fait tomber entre nos mains les preuves d'une habitude de diffamation d'une nature si allarmante pour la société, que pendant longtemps nous avons hésité à croire le témoignage de nos yeux et de nos oreilles: notre esprit devenoit rébèle à la conviction. Mais enfin il a fallu nous rendre à l'évidence. Toutes les démarches que nous avons faites ne sont venues qu'ajouter à la masse de preuves et de renseignements que nous possédions.

Un autre embarras a surgi: le coupable est un prêtre: non un prêtre pauvre, obscur, malade, chagrin, morose, mysanthrope, Heraclite--cagot, il est au contraire riche, honoré, florissant de [1/2] santé, gai, jovial, aimant le monde et se liant de tout, fort bien

à la Cour et à la ville.

Que faire? le livrer à la justice ordinaire? provoquer des débats où se dérouleroit une série d'iniquités pénibles et cruelles à raconter pour les témoins ou les victimes; révoltantes à écouter pour les juges, le jury; dangereuses à publier dans leur effrayante simplicité? et pourquoi? pour obtenir une misérable réparation pécuniaire et laisser dans les annales de New York le souvenir impérissable d'un scandale affligeant pour la morale et la religion!

Nous avons mûrement pensé à ces choses et nous avons abandonné toute, idée de voie judiciaire provoquée par nous, prêt cependant à nous défendre si on nous attaque, restant fidèle à ce principe:

"Qui veut la paix se prépare à la guerre."

Nous pouvions garder le silence et laisser au ciel le soin du châtiment: mais nous avons regardé autour de nous et nous sommes trouvé entouré d'une jeune épouse, de jeunes filles, de surs pour lesquelles nous avons craint le poison [2/3] d'une lâche calomnie. Le moindre contact avec ce prêtre nous en faisoit un ennemi; il lui eut été si facile de lire dans nos yeux le mépris que ses actions nous inspirent! et notre famille de-venoit sa première victime, la plus sure à frapper pour nous atteindre au coeur. Nous n'avons donc pas hésité. Ce prêtre est une hydre qu'on consommeroit un vain temps à attaquer, à harceler: il faut l'abattre d'un seul coup, et, peut-être sommes nous en cette circonstance l'humble instrument dont le ciel se sert, pour punir ici bas l'impie sur le sol même où il est devenu criminel?

Fort de notre conscience, de no« motifs; per-auadé que nous accomplissons un devoir quelque fâcheux qu'il soit, nous prenons l'initiative du com. bat, Nous ne redoutons rien du méchant bien qu'il paroisse si redoutable à d'autres. Le pervers démasqué devient un cadavre que nulle puissance humaine ne sauroit galvaniser ni faire revivre.

Nous ne souhaitons à M. A.Verren ni sa mort, ni la perte temporaire de sa liberté; ni, par amende, dommages-et-interêts, ou vénale transaction, le morcellement de la fortune qu'il a acquise en ce pays. Qu'il s'éloigne d'une société où désormais [3/4] il ne sauroit vivre en paix, et nous oublierons que même il a occupé quelques uns de nos moments. Lui aussi a une famille, et pour peu qu'il lui reste une étincelle de pudeur il jugera qui de lui ou de nous est le plus à plaindre et qui des deux a le mieux rempli les obligations que lui impose sa position dans le monde.

Les gens véritablement religieux ne seront pas plus affectés du châtiment mérité que nous infligeons à M. A. Verren, que les gens de probité ne sont scandalisés à la condamnation d'un scélérat; nous nous mettons, à l'avance audessus des clameurs des sots et des méchants qui vont nous assaillir de toutes parts, sachant très bien que

Les sots depuis Adam sont en majorité.

Si M. A. Verren ne se fut livré qu'à ses vices et à ses défauts secrets nous n'aurions jamaissongé à soulever un coin du manteau qui le cachoit au monde, mais la lâcheté dont il a fait preuve dans ses habitudes de calomnies épistolaires, le chagrin dont il a abreuvé quelques unes de ses victimes, nous ont convaincu qu'il ne suffisoit pas d'éviter avec soin sa société pour être à l'abri de ses traits, et dès lors nous l'avons redouté pour nous, pour notre famille et nos amis. C'est un serpent sous l'herbe; l'éclat du grand jour le frappe d'inertie et d'impuissance pour le mal; nous ne lui laissons que le faculté de vouloir et de pratiquer le bien, qu'il la mette à profit et nous sommes satisfait.

New York, 25 Décembre, 1839.

P. Barthélémy.


AVANT-PROPOS.

Fuit istâ quondam in hâc republicà virtus, ut viri fortes acrioribus suppliciis, civem perniciosum, quam hostem acerbissimum coercerent. Cic. Catilinaires.

En écrivant son tartufe l'auteur a voulu peindre et a peint en effet un des vices qui désoloient son siècle; ce n'est pas un seul homme que Molière a traduit et immolé sur la scène, c'est une infirmité morale d'autant plus redoutable qu'elle se cache et se produit sous les avantages les plus trompeurs, sous les dehors les plus séduisans.

Fallit enim vitium, speoie virtutis et umbrâ,
Cum sit triste habitu vultuque et veste severum. Juvenal.

Un tartufe grossier n'est pas redoutable, mais qui peut se défendre des perfides desseins de celui que nos moeurs, notre croyance religieuse, [6/7] et nos habitudes sociales désignent pour ainsi dire à l'avance, à notre confiance, à nos respects, à notre vénération? Les lois de toutes les nations sévissent contre quiconqne profite de sa position, ou de notre bonne foi pour s'emparer de toute ou d'une partie de notre fortune; mais quelles lois flétrissent le tartufe qui, à l'aide du masque de la religion, pénétre nos secrets ou nos affaires de famille pour en abuser selon ses passions; sème le deshonneur au foyer conjugal, et, loin de la guider, égare et flétrit l'innocence de nos filles?

Scire volunt sécréta domûs, atque indè timeri.

Les oeuvres ténébreuses de ce tartufe, nos lois ne peuvent les atteindre, parceque le mystère dont il s'envelope lui assure presque toujours l'impunité et que trop souvent le même manteau qui impose à notre crédulité devient le palladium à l'aide duquel il se rit, sans crainte, des angoisses de ses victimes.

Mais si trop souvent la crainte d'un faux scandale vient à l'appui de l'insuffisance des lois pour châtier le méchant, il est dans nos institutions un moyen efficace d'arracher au vice le masque dont il se couvre, et de le livrer ainsi aux supplices les plus sévères que nos moeurs puissent infliger. On [7/8] peut le répéter avec Ciceron, "Plus est élevé dans l'estime publique celui qui foule aux pieds toute vertu, plus cruelle sera la peine, dont on le frappera."

Notre position, celle que le devoir nous impose, est plus pénible que la position que son génie avait faite à Molière. Lui fut libre de broyer ses couleurs, de nuancer ses teintes, de crayonner ses portraits, de dessiner ses personnages; son imagination lui créoit un champ vaste qu'il put disposer à son gré, selon son goût et ses vues; il en fit une oeuvre immortelle, tant dans son cadre de fantaisie l'art lui montra la nécessité de se rapprocher du vrai. C'est à lui qu'Horace aurait pu dire:

Aetatis cujusque notandi sunt tibi mores.

Pour nous, notre tâche est inverse, parceque notre héros a été si fort au delà du vrai, que, bien que forcé de respecter la vérité de ses actions, il nous devient pénible de nous renfermer dans le simple récit du vraisemblable.

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.

Le vice du siècle de Molière s 'est, en se personnifiant dans notre héros, tellement perfectionné que le tartufe dramatique n'est plus qu'une [8/9] ébauche auprès de notre révérend. Mais H'un autre cô:é plus heureux que Molière nous n'avons pas a fronder le vice dominant de notre socié é j nous n'avons, nous, qu'à marquer au front le bé'e venimeuse. Ce n'est pss à une majoriié corrompue que nous nous attaquons, c'est à un de ces hommes

Fel in corde, fraus in factis.

heureusement isolés, sans autre autorité qu'une position usurpér, que nous nous en prenons; lui arracher le masque nous suffit; la socié é sera vengée par l'ostracisme volontaire qu'il saura s'imposer, et notra mérite, fort mince, sera d'avoir dit la vérité. Est-il donc si difficile de la dire que nous puissions même y trouver un mérite? non, mais, c'est un devoir et nous saurons l'accomplir.

Ce n'est pas seulement au nom de la religion outragée par l'un de ses premiers ministres que nous publions cet écrit, mais c'est au nom de tout ce que chacun considère de plus cher et de plus sacré, quelque soit du reste le culte auquel il appartienne, le dogmequ'il professe, que nous arons entrepris cette publication. Peu importe que nous soyons ou ne soyons pas le compatriote, le [9/10] condisciple, le confrère, l'ami, le confident, l'ennemi ou le proxénète de l'homme que nous vouons à la vindicte publique, notre plume trace la vérité, peut-être pas toute la vérité, mais certainement pas plus que la vérité. Nous accomplissons un devoir sacré pour nousqui comptons dans la société comme citoyen, comme fils, comme époux, comme frère, comme père, et qui, à tant de titres, devons protéger le toit domestique.

La loi Américaine impose à chacun le droit de saisir le délinquant, et nous, nous pratiquons cette maxime salutaire.

Quo quistque peccat, in eo punictur.


NOTICE BIOGRAPHIQUE.

Antoine Verren, naquit à Marseilles, de parens rien moins que fortunés. Cependant son éducation ne fut pas négligée. Il annonça de bonne heure d'heureuses dispositions. Une intelligence facile, souple et précoce, lui concilia l'affection de ses professeurs, mais langé trop jeune encore dans un monde où il ne lui étoit permis que de briller dans l'ombre, Verren dût tourner ses efforts vers le meilleur moyen d'occuper un théâtre où sa vanité naturelle pût se satisfaire.

Les exploits militaires de l'empire avaient été les premiers chants de gloire qui eussent retenti à ses oreilles, mais trop enfant encore pour suivre le torrent qui entrainoit alors toute la jeunesse de France, et naturellement trop timide pour se [11/12] complaire aux hazards de la guerre, Verren dirigea ses vues d'un au re côté.

Des études assez étendues sur l'histoire naturelle l'avaient déjà conduit à adopter des principes qui sont loin d'élre en parfaite harmonie nvec ceux des saintes écritures ou du dogme de Rome, et il penchoit alors vers une opposition, à la tête de laqui-lle, après les philosophes du 18e. siècle, sont venus se placer nos savans contemporains. Souienir et prouver l'indestructibilité de la matière étoit une entreprise, non pas peut-être audessus de sa conviction ni du gsnre de ses occupations littéraires.mais cette entreprise exige-oit du travail, de la persévérance, et Verren n'est porté ni à l'un ni à l'autre Le monde avoit pour lui des charmes que l'aridité de l'étude, le temps de se faire un nom, et son manque de fortune l'empèchoient de goûter. Il renonça donc à se distinguer parmi les naturalistes, afin de s'assurer une existence immédiate plus douce, plus facile, plus aisée.

La restauration couroil déjà à reculons vers le beau temps des abus du saint siège. La chance étoit belle, il eut le bon esprit de la saisir. La vie claustrale ne s'accordant pas avec ses dispositions [12/13] naissantes il devient simple élève externe de l'académie de Genève, où, sans de sévères épreuves séminairiennes il se contente de recevoir la simple ordination suivant le rite du culte réformé. Le voila donc entré dans les ordres non par vocation ni par conviction, mais par nécessité ou par ambition, comme on prend un état, on choisit xine profession.

Ce fût à Ferney, séjour créé et illustré par Voltaire que Verren débuta dans sa nouvelle carrière. Pasteur de l'endroit il en devint bientôt l'idole-Les tourelles, l'oratoire, les bosquets du château ont été les témoins, mais témoins silencieux et discrets de mille prouesses diverses qui n'avoient pas pour objet l'édification de son troupeau Nous aussi nous serons muet et ne redirons pas les scènes où le héros que nous allons chanter fut acteur heureux et infatigable. Cependant il est un terme aux félicités d'ici bas; M. A. Verren en est la preuve il quitte son presbytère, y laissant ouverte, peut-être pour d'autres, une certaine porte qu'une tendre sollicitude avoit fait percer dans l'intention de rapprocher les distances, car bien que tout chemin mène à Rome, le plus court, en intrigues comme en géométrie, est toujours le meilleur.

[14] Il laissa donc Ferney. Eglise, château, presbytère, grottes et pénitentes, tout enfin, pour venir à New York, poussé par cette insatiable ambition qui le porta de Marseilles à Genève, ou conduit peut-être par une main invisible pour y devenir un grand et terrible enseignement moral.

Le voici donc en Amérique, monde inconnu et nouveau pour lui? Qu'y apporte-t-il? Une conscience et un esprit souples; de la causerie, un brillant vernis d'instruction, l'usage du monde, de bonnes manières, un extérieur agréable.

Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu?

Son premier soin fut d'apostasier et de se soumettre à une nouvelle imposition des mains d'un évêque, annullant ainsi l'in.pétralion sacrée de Genève et révoquant la foi qu'il avoit professée à Ferney. Il est à peine âgé de 25 ans, et de matérialiste il »'est fait calviniste pour ensuite passer Episcopa-lïen. Sa dernière confession est-elle la plus sin-acrel

Admis dans les cercles les plus distingués il s'y fit aisément remarquer; promu à la chaire du culte Episcopal Français il se promet d'y développer toutes les ressources de son esprit, toutes les grâces de sa personne. Il veut paraître un saint peur que les femmes le voient un ange. Il réussit. Il fait sensation. Ses sermons n'ont rien de trop austère, rien [14/15] de trop mondain; il sait être neuf sans être novateur; sans se montrer supérieur il trouve l'art de se faire écouter après tant d'autres. Sa voix est douce, insinuante, persuasive; elle rend moins grave, moin? redoutable, pour l'auditoire, la morale du pur et saint évangile; ses exemples sont tous habilement choisis. Enfin nouvel Orphée tout s'émeut à ses accords. Le marbre s'ébranle, s'agite, se fagonne, et tout exprès pour lui s'élève à grands frais un temple vrai modèle de bon goût, de luxe, d'élégance et de beauté classique. Qu'il est fier sous ce portique sacré! du'il est pompeusement arrogant au centre de cette nef, sous ce dôme artistement travaillé; qu'il est onctueusement orgueilleux dans cette chaire du haut de laquelle il domine une foule qui se laisse aller au charme du plus sacré des prestèges! Ce n'est plus l'humble disciple de Jésus-Christ discourant dans le temple, c'est le superbe pontife fulminant ses arrêts. Verren est vraiment grand, noble, séduisant dans ce moment, le plus beau peut-être qu'il lui soit désormais permis de goûter ici bas. Cette position si digne d'envie, cette réalité de ses rêves d'Europe, il l'exploitera non dans l'intérêt de la religion, mais dans celui du feu qui embrase son sang.

Le pupitre est pour lui la voûte éthérée du haut de laquelle, nouvel astre vivifiant, il dardera de ses rayons la fleur la plus suave. Le parterre qui se forme et se grouppe sous ses pieds comprend toute les jolies femmes de New York. Toutes à l'envi l'une de [15/16] l'autre, viennent entendre la voix du nouveau prédicateur; le temple est désormais un théâtre où l'harmonie instrumentale et vocale luttent d'efforts et de talens, aussi la foule accourt.

Sic mit ad célèbres cultissima faemina ludos.

Verren s'attachera à ses ouailles, non pour les édifier mais pour les perdre, les corrompre. Le fourbe épuise en leur présence toutes les finesses du language le plus aduiateur, le plus séduisant, et en arrière il exprime pour elles le mépris le plus profond. S'il vante en face la délicatesse de leurs grâces, en secret il se dédommage de cette contrainte que sa malignité s'est imposée; telle belle qu'il a louée à outrance, qu'il a juré être digne du plus beau trône de la terre, que bientôt après il travestit en ornement indispensable d'une étude d'ostéologie; il se croit spirituel, alors qu'il n'est qu'impertinent, en répétant ce vers catembourg.

"Mon esprit en secret l'appeloit à régner."

C'est par cette insolente sentence qu'il termine ses tirades abusives sur les jolies Américaines, lorsque toutefois il n'attaque pas leurs moeurs, car alors il est plus cruel encore.

Ce langage indécent que tient M. Verren dans ses êpanchemens intimes ne seroit qu'un vice d'esprit que nous n'aurions pas même cité s'il eut été seul, et si notre tâche n'étoit pas de le montrer tel qu'il est au peuple de New York.

[17] Dans les matériaux que nous avons réunis p notre travail nous avons été forcé de mettre de cftté beaucoup de faits et d'anecdotes qui concernent des familles honorables dont notre publication eut pu troubler injustement le repos. Nous ne voulons pas faire de scandale, bien que beaucoup de scandale naîtra de nos révélations, mais ce scandale n'est pas notre ouvrage en propre, et nous n'écrirons rien au delà de ce qui nous devient strictement nécessaire pour atteindre le but que nous nous proposons: démasquer le fourbe.

Nous avons aussi négligé de citer mille intrigues de sacristie; mille basses et misérables menées qu'il a dirigée tantôt pour éloigner tel conseiller et faire élire tel autre; tantôt pour annuller, par escammotage, une décision qui n'entroit pas dans ses vues; tantôt pour passer des devis pour la construction, les changemens, les embellissemens de l'église; tantôt pour faire adopter tels termes du bail de telle ou telle propriété de la congrégation, etc. etc.

Tout cela, disons nous, a été écarté de notre sujet, bien qu'il nous eut été facile d'en tirer parti pour représenter M. A. Verren comme un rusé homme d'affaires plutôt qu'honnête et désintérressé pasteur; mais pour être blâmable il ne sauroit être criminel à nos yeux en raison de ces mêmes faits Nous l'avons saisi ailleurs, ou plutôt partout, excepté dans la sacristie et dans son ménage, parceque là nous le [17/18] jugeons à l'abri de la jurisdiction de la presse. En terminant nous émettons sincèrement le vu que ce double sanctuaire que nous avons respecté devienne pour lui le port assuré où il puisse se réconcilier avec ses devoirs, voiler l'éclat de ses fautes et donner à sa jeune famille au moins l'exemple des vertus domestiques.


CHAPITRE PREMIER.

INTERIEUR DOMESTIQUE.

Ce chapitre sera le plus court de tous ceux que nous avons consacrés à chanter notre héros. Nous serons remarquablement concis, non pas que la matière nous manque, mais nous voulons resier fidèle à ce principe salutaire que, lors de la discussion des lois sur la liberté de la presse, M. Royer Collard formula ainsi à la tribune de la chambre des députés: "La vie privée doit êire murée." Murée en effet pour nous sera celle de M. A. Verren que nous n'avons saisi qu'au dehors, parceque là, en sa qualité d'homme public, il nous appartient depuis les pieds jusques à la tête. Nous avons le droit, et nous prétendons en user dans toute sa rigueur, de scruter sa [19/20] conduite, d'interroger ses actes, de sonder sa pensée, de divulguer ses actions quelles qu'elles soient. Nous n'avons pas cru toutefois que la cour de sa maison fît partie du ménage, et nous avons consacré un chapitre à montrer ce qui s'y passe habituellement; hors delà tout dans son intérieur est muré pour nous.

Les circonstances caractéristiques de son mariage avec l'une des demoiselles Hamersley ne sont pas encore effacées de la mémoire du public; on a pu croire que l'amour avoit tressé de ses mains la guirlande conjugale et couvert de rosés et de myrthesles chaînes de l'hymen. Soit! nous n'avons rien à dire et laissons à tout autre le soin de conter les délices de cette nouvelle Ariane.

Mais avant cet auteur à venir et nous, Horace avoit dit:

Sîc visum veneris; cui placet impares,
Formas atque animera sub juga ahenea
Sævo mittere cum joco.

Semper habet lites alternaque jurgia lectus.
In quo nuptia jacet; minimum dormitur in illo.

Sed notât hunc omnis domus et vicinia tota,
Introrsum turpem, speciosum pelle decorâ.


CHAPITRE SECOND.

Nihil est tam volucre quam maledictum, nihil facilius emittitur, nihil chius excipitur, nihil latius dissipatur.

Vires acquirit eundo.

Calomniez, Monseigneur, calomniez, il en reste toujours quelque chose.

La calomnie .....j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être écrasés.

Depuis Virgile jusqu'à Beaumarchais et depuis l'auteur du mariage de Figaro jusqu'à notre révérend héros, la calomnie a été considérée comme une arme [21/22] dangereuse, infaillible: elle est au méchant ce que le poison est au meurtrier; elle a frappé sa victime avant même que son existence soit soupçonnée, et lorsqu'elle révèle sa présence, il est déjà trop 'ard, le mal est fait, il avance, il se propage, il corrode, il détruit et anéantit l'être auquel il s'est attaché. Baour de Lormian et avant lui J. B. Rousseau nous ont,laissé de belles odes, de beaux vers sur la calomnie, mais que sont ces pensées du génie auprès des oeuvres ténébreuses du révérend Verren? Ce que nous allons dire n'est pas création de notre imagination, nous avons les pièces originales entre les mains pour confondre l'auteur des lettres anonymes s'il poussait l'audace et l'impudeur jusqu'à vouloir même tenter de nier.

Dans un autre chapitre, on verra le parti que M. Verren tirait non pas de ses avantages personnels seuls, mais encore de sa position si honorable, pour choisir les objets qu'il jugeoit propres à satisfaire ses désirs. Plus tard nous pourrons montrer qu'il est peu scrupuleux quant à l'âge et à la couleur; nouveau joconde il aime à chanter,

Partout où j'ai voyage,
Suivant les pays j'ai changé.

toutefois et bien qu'il soit prince de sacristie, le Jocqpde en soutane a rencontré des vertus rébelles. S'il échoue dans ses tentatives, si les premiers indices de ses déclarations sont reçus avec un mépris [22/23] éloquemment silencieux, alors son coeur s'ouvre au sentiment de la vengeance; la baîne y germe et tout lui devient bon pour satisfaire l'impérieux besoin auquel il est en proie; malheur en ce cas à quiconque a provoqué son ire.

Cet homme cependant qui se joue à plaisir de l'innocence, de la tranquillité, de la réputation et de la fortune d'autrui, est non seulement l'esclave de ses -viles passions, mais il devient un facile instrument que font mouvoir à leur gré les confidens ou les complices de ses mauvaises actions. On diroit que chez lui l'occasion de faire le mal soit une bonne fortune; il suffit de le lui indiquer, et, furet actif, il boulleverse tout le terrein qui se trouve sous ses pas pour découvrir et frapper sa victime qu'il ait ou non à s'en plaindre. Dans plus d'une circonstance où ce malheureux penchant l'a entraîné M. Verren ne sauroit s'expliquer à lui-même, et moins encore le confesser à autrui, le motif, réel, secret, caché de sa noirceur. Ce laisser-aller qu'il a pour la vice et le mal, l'en rendent la victime; il s'y livre avec délices, avec un entraînement qui tient pour ainsi dire d'une délirante fatalité. Nous le voyons, nous le jugeons maintenant pièces sur table; nous le voyons servir aveuglément les petites jalousies d'une femme qu'il croit dominer pareequ'il l'a rendue coupable; aller beaucoup au delà de ce qu'elle sollicitoit adroitement de lui, et après s'être, ainsi engagé dans une mauvaise voie, s'y encourager [23/24] jusqu'à ce qu'il ait honte lui-même de ses propres excès, mais toujours trop tard pour réparer le mal qu'il a produit, les larmes qu'il a fail verser, les angoisses qu'il a causées.

Nous nous chargeons donc, dans ce chapitre, et autant qu'il est en nous, d'une tâche audessus de ses forces.

Parmi nombre de faits que nous pourrions citer, nous choisissons le suivant, parcequ'il est d'une vérité si cruelle que seul il suffit pour peindre M. Verren, et qu'en même temps nous rendons à la personne qui a été sa victime, non pas seulement une éclattante et juste réparation, mais encore lui procurons un repos que la lâcheté de l'ennemi invisible qui la poursuivoit lui a ravi depuis longtemps.

Mademoiselle * * * "que nous nommerions avec autant de plnisir que de respect, se vouoit, à New York, à l'enseignement particulier. Ses talens, son éducation, sa conduite, ses moeurs, l'aménité et l'exquise urbanité de ses manières lui avoient concilié l'estime, l'amitié et la recommendation des familles les plus honorables de la ville.

Présentée au pasteur de l'Eglise Episcopale Française, Mademoiselle * * * * trouve en M. Verren un ministre qui, mettant de côté, une austérité pédante, sait se montrer digne, par son instruction et ses belles manières, delà haute mission qui lui est [24/25] confiée. Le révérend est aussi sous cette influence secrète, mais pleine de charmes que nous éprouvons dans la société d'une femme spirituelle, aimable sans coquetterie, et parleuse sans bavardage. Il l'engage à fréquenter l'Eglise Episcopale, et bien que le culte qu'on y professe ne soit pas le sien, le désir d'entendre prêcher en Français, porte Mademoiselle ***** à se rendre à l'invitation.

M. Verren, qui cherche toujours à se mêler des affaires d'autrui, s'est bientôt initié à la position de sa nouvelle connaissance; il offre ses services avec d'autant plus d'empressement qu'il n'y a pour lui que de la satisfaction à se faire le protecteur du véritable mérite; mais ses efforts, s'ils sont sincères, restent superflus; Sa protégée a des amis plus heureux à la servir.

Une circonstance, très insignifiante du reste, permet à M. Verren de trouver pour Mademoiselle * * * * un logement qui paroit convenable. Ce logement fait partie d'une belle maison louée par le révérend pour le mari d'une jeune dame, jolie et douée d'un esprit naturel qui, pour briller, n'avoitrien à emprunter à une mémoire ornée par le fruit d'utiles ou de sérieuses études. Ce contact journalier de deux caractères féminins si peu homogènes devoit amener un résultat fâcheux, inévitable. L'une polie, causeuse sans abandon; dédaignant une victoire facile, se [25/26] bornant à faire pressentir sa supériorité sans en profiter; l'autre enjouée, gaie, folâtre, à son aise et dans sa sphère lorsque la conversation se tenoit terre-à-terre, mais embarrassée, contrainte, humiliée lors, que l'on venoit à traiter des questions de saine philosophie, ou bien lorsque la discussion, amenée par des gens de mérite, embrassoit l'histoire, la littérature, la science ou la politique. Très versée dans la fluctuation des marchés ou le caquettage domestique, mais étrangère à tout autre sujet, d'abord réduite à elle-même, la maîtresse de la maison dévora en silence sa consciencieuse nullité; mais elle eut de l'humeur; puis la manifesta sans en expliquer la cause: il est des aveux contre lesquels notre amour-propre se révolte. Puis enfin a force de chercher à punir, à humilier ce qu'elle ne pouvoit contrebalancer ouvertement, elle ourdit dans l'ombre ses moyens de petite vengeance.

M. Verren fût très naturellement celui dans le sein de qui elle confia partie de ses petits chagrins: il l'écouta en bon pasteur.

Pendant que l'orage s'amonceloit au loin, Mademoiselle * * * * avoit cessé d'aller écouter des sermons sur le texte évangélique, non peut-être [26/27] qu'elle se fût déjà apergue de l'affaiblissement du mérite d'oraisons jusques là assez bien écrites, pas mal débitées, mais ces oraisons, ces sermons, comme on voudra les appeler, étoient toujours à l'appui d'un dogme qu'elle n'acceptoit pas pour le sien. Cette circonstance si simple, si naturelle, si justifiable dans sa position, fut perfidement interprêtée au révérend, et le disposa à servir en aveugle un ressentiment dont il ignoroitle secret, mais auquel, dès lors, il s'identifia de telle sorte, qu'il crut, en épousant la cause d'une autre, se venger lui-même; aussi fut-il loin, bien loin audelà de ce que le dépit le plus acéré auroit pu conduire la jolie compagne de son ami.

Dans ces mêmes moments, M. Verren, qui ne perd jamais de vue ses intérêts terrestres, avoit voulu engager Mademoiselle * * * dans une affaire d'argent. Il éprouva un refus qu'il se fut évité avec un peu plus de tact et de convenance. Il eut dû prévoir que le caractère dont il est revêtu lui interdisoit la proposition d'une opération de préteur d'argent; c'était à un service sollicité qu'il devoit borner ses instances, et plus il se donnoit de peine et d'ardeur à expliquer les garanties et les avantages de l'avance de fonds [27/28] qu'il convoitoit, plus il ravaloit sa dignité Dana cette proposition, préparée avec un soin très étudié, pour laquelle même on sembloit avoir évoqué l'ombre et les talens de l'infortuné Vatel, M. A. Verren fut plus pressant que le motif apparent ne l'exigeoit, et le refus positif qu'il éprouva ouvrit son coeur à une série d'émotions que la vigilante jalousie, l'inquiète et incessante rivalité, exploitèrent avec avantage.

M. Verren se croit méprisé; il se le dit à luî-mème; ce qu'est le cri de la conscience! perfidement on le lui persuade. Lui, méprisé! il en aura raison......à sa manière. Vite! de l'encre, du papier, une plume, des crayons même. Il lui faut écrire des mensonges, dessiner des indignités. Oui, lecteur, notre révérend dessine, pas bien à la vérité, mais enfin il aime la caricature; s'il ne sait pas encore faire un il, tracer un nez, onduler une bouche, en revanche il excèle à reproduire d'autres traits. S'il se méloit d'éditer le populaire ouvrage du Dr. Tissot à l'usage de la jeunesse devenue puberté, croyez nous, il se réserve-roit la partie des planches, et il les multiplieroit aussi souvent que le texte le demanderoit.

Pendant qu'il taille ses plûmes, ses crayons, et [28/29] rumine en son cerveau ce qu'il en peut faire saillir, une bouche qu'il aime plus qu'entendre, lui rapporte que Mademoiselle ***** étant en société a dit, après plusieurs dames qui toutes s'exprimoient très ouvertement sur le ton trop galant du révérend avec les dames: "S'il passe pour libertin, il ne se montre pas meilleur que le commun des hommes."

Cette simple observation n'a rien en elle même de malveillant; il est même facile d'y reconnaître un trait de bonté et de franchise naturelles. En n'excluant pas M. Verren de la généralité des hommes marquans sous le rapport des faiblesses humaines, elle n'attire pas sur lui seul un facile anathème, elle cherche au contraire a le faire participer à cette absolution, à cotte amnistie secrète dont les jolies femmes ne sont pas avares en pareille circonstance. Mais tout innocentqu'il est en lui-même ce propos aiguillonne le démon qui l'inspire. Le mot libertin l'a frappé comme un trait de lumière, c'est l'étincelle électrique qui embrase son imagination et vivifie tout ce qu'elle a de ressources pour le genre erotique. Tout à l'heure il erroit incertain sur son mode de vengeance mais le mot qu'on lui rapporte a fait vibrer la corde la plus sensible de son organisation. On [29/30] dit qu'Achille, caché sous des habits de femme à la cour de Licomède, trahit son sexe à la vue d'une épée que l'habile Uiisse, déguisé en marchand, fît briller à ses yeux parmi des objets de toilette; tel est notre révérend, le mot libertin fait percer son naturel.

Il sait ou Mademoiselle * * * * est bien accueillie; où elle puise ses ressources; où elle compte ses amis, ses bienfaiteurs; c'est là qu'il lafrappera. Il écrit à Madame B------, à Madame D------ à M. C------plusieurs lettres anonymes, il en prépare de nouvelles; nous avons ces originanx écrits de sa main sous les yeux. Ces lettres, le respect que nous nous devons à nous même, les égards que méritent nos lecteurs nous interdisent la possibilité de les citer textuellement. Jamais Arètin ni A. Piron, dans le dévergondage de leur verve n'ont tracé de pareilles obscénités. Les accablantes imputations que contiennent ces lettres sont revêtues de tant de forma épistolaire que la main d'un maitre s'y trahit à chaque ligne. La calomnie a grandi; elle s'est propagée;

Quelque grossier qu'un mensonge puisse être,
Ne craigniez rien; calomniez toujours:
Quand l'accusé confondrait vos discours,
La plaie est faite; et, quoiqu'il en guérisse,
On en verra du moins la cicatrice.

[31] Peu de personnes ont ajouté foi aux prétendus avis et confidences de l'anonyme; quelques unes en ont parlé à Mademoiselle * * * * d'autres ont été moins franches, mais leur réserve sur laquelle cette demoiselle a trop d'habitude et d'usage du monde pour s'abuser, lui révèloit qu'elle étoit la victime d'un ennemi secret et puissent. Elle en congut un cruel chagrin; elle dût même renoncer à un établissement qui n'eut pu que prospérer ssus son habile direction. Elle ignoreroit encore sans nos révélations d'où les coups lui ont été portés. Mais nous avons accompli un devoir, elle doit ne nous en savoir aucun gré. Nous nous trouvons assez payé de nos efforts par la persuasion où nous sommes qu'ils lui auront rendu la tranquillité d'esprit dont elle avoit tant besoin au sein même des consolations, des soins et des égards dont l'environnent ses nombreux amis.


CHAPITRE TROISIÈME.

De votre fête, hymen, voici le jour
N'oubliez pas d'en avertir l'amour.

Madame * * * * venoit de perdre et d'énséve-lir son mari. Veuve affligée, mais veuve économe, elle n'avoit pas, à l'exemple de la somp-teuse Arthémise, élevé, sur la tombe du défunt, un fastueux mausolée pour attester sa douleur aux races futures; mais seule, en secret, elle pleuroit l'ami qu'il ne lui étoit plus permis de revoir en ce monde de misères. Rien ne dispose à la tristesse comme la retraite que s'impose un coeur tendre et récemment ulcéré; mais cette tristesse qui se complaît et s'excite elle-même, s'étonne bientôt [32/33] et s'effraie, si elle ne s'ennuie, de l'isolement dans lequel elle se tronve plongée. Entre la société et l'affligée il existe une immensité qu'il importe fort peu a la société de combler, tant le siècle est égoiste, mais que son salut terrestre force l'affligée de remplir aussi vile que possible, Alors semblable à l'enfant boudeur on voit la veuve d'hier tâtonner un racommodement mondain; et comme entre la tombe et le salon se dresse l'autel, c'est ordinairement par la voie de l'église qu'elle tente le rapprochement. C'est, à l'autel qu'on a juré amour inaltérable, c'est à l'autel qu'on implore l'impuniié d'un doux parjure; et l'intermédiaire entre la puissance terrestre et la divinité, est, comme bien on sait, le prêtre, le pasteur. C'est dans son sein qu'on verse ses chagrins; c'est dans ses lumières qu'on cherche des consolations; le eur alors est très disposé à s'ouvrir à la parole de paix, de miséricorde et d'espoir.

Notre nouvelle veuve d'Ephèse en êtoit donc arrivée à ce chapitre des évènemens ordinaires de la vie, lorsqu'elle s'adressa à M. Verren, non comme à l'homme élégant et rempli de sympathie pour les chagrins qui dévorent les coeurs sensibles affligés de vingt-cinq ans et d'agaçans [33/34] attraits, mais comme au ministre d'un Dieu qui pardonna à la femme adultère.

Les conférences commencèrent donc sur le texte de la vie éternelle de l'autre monde et de celle très courte, si on ne sait l'embellir, de celui-ci. Le défunt avoit des qualités que la veuve pleuroit nuit et jour, mais dont le souvenir la ré-concillioit peu à peu avec le monde. La privation de ces qualités la rendoit malheureuse, et voilà pourquoi elle ne cessoit de pleurer le défunt. M. A. Verren, en vrai connaisseur érudit, découvrit de son il d'aigle, la cause et la profondeur du mal. Il indique un remède, mais la veuve croit voir s'agiter l'ombre de feu monsieur son époux; elle frissonne de la tète aux pieds et se croit sur le point de se livrer à Belzebub; elle croit à la punition des parjures; elle parle de ses craintes des arrêts du ciel. Le pasteur en sourit et nouveau tartufe il lui dit:

Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame; et je sais l'art de lever les scrupules.
Le ciel défend, de vrai, certains contentements,
Mais on trouve avec lui des accommodemens.
Selon divers besoins il est une science,
D'étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l'action,
Avec la pureté, de notre intention.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire,
Vous n'avez seulement qu'à voua laisser conduire.
----------------------- n'ayez point d'eflroi,
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.

[35] En brebis soumise, Madame écoute le pasteur, mais ne se rend pas encore. Son salut futur est beaucoup pour elle, mais son repos terrestre est beaucoup aussi: le monde est rigide, l'éclat est mortel pour la femme qui s'oublie, et bien qu'elle ne puisse par réfuter le beau langage de son passionné directeur, elle obéit encore à une secrète influence d'un coeur formé pour la vertu; elle manifeste des craintes qu'elle ne peut formuler.

Verren doit porter le dernier coup. Le terrein sur lequel il se trouve engagé et veut triompher n'est plus celui de Duane Street, (voir ch. 5). Madame * * a recueilli de son mariage une expérience qui rendroit dérisoires tous les travaux de circonvallation de l'habile ingénieur qui cherche à la faire succomber. C'est un changement de tactique qu'il adoptera avec tout autant de facilité qu'il a apostasie, tant sa conscience est élastique!

Ministre de Dieu il ose se faire fort du pardon futur des actions de sa pénitente: celle-ci peut se croire rassurée de ce côté; mais Verren est impuissant pour la garantir contre la censure publique. N'importe, il faut la subjuguer et lui donner des gages d'une autre espèce; c'est encore son caractère sacré qu'il invoque, il lui dit avec une très pressante onction:

Les gens comme nous brûlent d'un feu discret,
Avec qui, pour toujours, on est sûr du secret.
[36] Le soin que nous prenons de notre renommée,
Répond de toute chose à la personne aimée;
Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre coeur,
De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur.

Madame * * * * ne sait que répondre; elle soupire, verse quelques larmes, jette un regard sur le passé et, laissant le présent et l'avenir aux bons soins de son pasteur, elle ferme voluptueusement les yeux sur l'abyme qui s'entr'ouvre sous elle.

Ces entretiens secrets se renouvellent. Après un si long veuvage la dame a tant besoin de permettre au pasteur de lire en son âme, et il y lit si bien, que bientôt pour elle il n'est plus de terreurs, plus de paniques. S'il lui reste encore quelques peccadiles à se faire pardonner le soin ne l'en inquiète plus désormais; Verren ne lui a-t-il pas dit et cent fois répété,

Je vous réponds de tout et prends le mal sur moi?

Voilà encore une veuve très consolée, et s'il faut en croire la promesse du révérend, Magdeleine ne sera pas la seule jolie pécheresse admise au séjour des bienheureux. Mais la béatitude terrestre dont il la faisoit jouir par anticipation de grâces toutes divines ne tarda pas à peser à la dame non moins que son inconsolabilité; M. Verren, qui n'éioit pas veuf, devoit partager ses soins, ses consolations, et il lui falloit tantôt quitter la veuve pour des obligations conjugales, [36/37] puis négliger celles-ci pour ses soins pastoraux; c'étoit à n'y pas tenir, et malgré toute la sainte ferveur dont le digne révérend est possédé, le besoin de sa conservation lui inspira l'idée de conseiller à la veuve mi-consolée de former de nouveaux nuds. L'idée était originale, venant de lui, mais enfin c'étoit une idée, peut-être de nécessité pour tous deux.

Il se mit donc en quête de l'heureux successeur légitime du défunt et ses yeux s'arrêtèrent sur nne bonne pâte d'homme, honnête homme au fond, mais contrefait quant à la forme. Cela ne faisoit rien à l'affaire: Vénus n'eut-elle pas Vulcain par mari? Et puis le futur proposé n'ayant comme Vulcain qu'une imperfection physique, mais rien de ce Dieu sous un autre rapport, l'invisible réseau n'étoit pas à rédouter. Il faut penser à tout, et M. A. Verren est un habile homme.....par fois.

L'autel se pare donc encore pour la jolie veuve: si l'usage lui ravit le plaisir de porter le bouquet virginal; si le classique bouton de fleur d'orange n'orne plus sa ceinture, son front n'en est pas moins calme, son regard moins angélique, sa démarche moins timide et son coeur n'en goûte pas moins une douce tranquillité. Sa paix est faite avec le ciel; elle a obtenu une tendre absolution du saint ministre qui connoit le fond de son âme, et qui recueille encore de sa jolie bouche le OUI sacramental que cette fois cependant il inscrit sur son recueil officiel. Parens, [37/38] amis, connaissances, tous se réunissent, s'assemblent et la salle du banquet resplandissant des feux de mille bougies résonne bientôt sous les pas des joyeux convives.

De votre fête, hymen, voici le jour;
N'oubliez pas d'en avertir l'amour.

M. A. Verren en sa qualité de ministre officiant obtient la place d'honneur; le mari de lui sourire avec reconnaissance et M. A. Verren qui ne veut pas et ne peut pas être en retour de ce sentiment avec le brave homme, lui sourit à son tour. Des lèvres il lui parle, mais des pieds il interroge sa compagne et par suite naturelle de la commotion électrique, les yeux de la belle font chorus avec ses pieds pour chanter en secret:

De votre fête, hymen, voici le jour;
N'oubliez pas d'en avertir l'amour.

L'amour bien averti se tient sur ses gardes, et le mari heureux, aveugle et confiant remercioit le défunt de n'avoir pas emporté tous ses trésors avec lui.

Cette immorale et criminelle duplicité de notre héros ne s'arrêta pas en si bon chemin. Il nous reste à conter un trait final qui révèle l'homme tout-à-fait.

Nous venons de voir l'oubli de tous les principes [38/39]comme mari, comme ministre, comme ami. Nous allons le montrer amant intéressé et lâchement cupide, car c'est encore à l'aide de lettres anonymes qu'il cherche à satisfaire ses honteux penchants.

Des affaires de commerce appelèrent le mari en Europe; sa femme devoit le suivre, La séparation devenoit pénible à celle qui abandonnoit sur le sol Américain les dépouilles refroidies d'un homme qu'elle avoit beaucoup aimé et de plus l'enveloppe mortelle, mais très vivante, de celui qui au nom du ciel lui avoit fait goûter tant de félicités mondaines. Oh! s'éloigner de ce dernier, le quitter pour ne plus le revoir, bien qu'il ne fût pas enterré, devenoit pour elle un chagrin vif et cuisant. Quel vide il alloit lui laisser! on ne pouvoit s'écrire, la prudence le défendoit; on n'osoit risquer de consolations de cette ressource des âmes passionnées: on en avisa une autre.

L'art d'écrire, cher lecteur, fut sans doute inventé
Par l'amante captive et l'amant éloigné.

Mais l'art du peintre en miniature a dû être inventé par la nécessité prudente de ne pas s'écrire bien que s'aimant et se trouvant captive et éloigné. Les traits fidèlement reproduits suppléent aux tourmens de l'absence. On aime à interroger des yeux qui toujours se sont amoureusement ouverts sur nous; à jêter à une jolie bouche les expressions de [39/40] tendresse qui tant de fois ont retenti à nos oreilles. C'est donc à ce témoignage d'une affection non équivoque que notre jeune dame eut recours pour rappeler au béât ami le souvenir d'une si docile paroissienne.

Le portrait, peint par une main habile, fut renfermé dans un riche médaillon et recouvert d'une mèche choisie de ces longs cheveux bien soyeux que Verren se complaisoit à voir flotter sur des épaules d'albâtre dignes du ciseau de Praxitéles. Moments délicieux qu'il choisissoit pour rappeler à sa pénitente la vie, les aventures et l'exaltation de la Magdeleine: à. tout péché miséricorde.

Ce médaillon étoit un présent précieux par les circonstances qui l'environnoient, mais aussi par la main d'oeuvre et le prix du métal qui protégeoit sa fragilité. L'amante riche et délicate; l'âme désinterressée et le coeur ingénieux d'une aimable pécheresse; tout ce qui porte à l'indulgence un censeur sévère se réflétoit dans cette attention toute féminine; il y avoit une tendre poésie dans ce présent de séparation; Verren n'y lut rien de tout cela. Il pesa dans sa main d'usurier le poids de l'or; il mit de côté les cheveux et l'ivoire, et jugea que le tout ne te payoit pas de sa vacation comme pasteur officiant à la cérémonie nuptiale de gens fortunés.

Comme il auroit rougi, non! nous nous trompons, [40/41] tartufe ne sait pas rougir; comme, voulons nous dire, il n'auroit pas osé demander en face le prix de ses honoraires à un homme qui l'avoit constamment accueilli comme ami et qui auroit craint de le blesser en lai parlant argent pour un mariage manigancé par lui-même, A. Verren écrivit deux lettres anonymes: la première n'eut aucun effet. La seconde étoit congue ainsi et adressée au trop confiant mari. "Mon ami, j'étois dernièrement à une soirée où il y avoit bonne compagnie. C'est toi qui as servi de matière à la conversation. Chacun témoignoit beaucoup d'étonnement de ce que tu n'avois pas encore satisfait le minisire de ses peines. On se disoit: comment, pour un homme bien né, un homme de qualité et qui va sur le bon ton, il a'a pas encore...... assurément il n'est pas ce que nous croyons...... il dément la bonne opinion que nous avions de lui, .... il se dégrade, etc.

Quelques circonstances purent faire croire que ces lettres, assez niaisemeaat écrites, l'avoient cependant été par MM. B. et E. Toutefois il n'en étoit rien. La femme seule ne fut pas dupe. On trompe rarement la perspicacité de celle qui nousconnait comme la dame en question connaissoit notre révérend. Outrée, indignée contre son lâche et indigne consolateur, elle prend un billet de $20 et se présente chez M. A. Verren, envers qui elle s'empresse d'acquitter la dette réclamée, avec autant d'aisance que s'il ne se fût rien passé entr'elle et lui, et puis elle lui donne [41/42] à lire les lettres anonymes reçues par son mari, Verren fut forcé de lire, là, sous les yeux scrutateurs d'une femme blessée et obligée de mépriser celui à qui elle a sacrifié tout ce qu'une femme peut sacrifier. Son regard réceloit la foudre, Verren soutint mal l'assaut. On se quitta froidement, mais il avoit détruit toute illusion et rendu impossible un seul souvenir honorable pour lui dans le coeur d'une femme jeune, spirituelle, aimante et façonnée par la main des amours.


CHAPITRE QUATRIEME.

L'hypocrite en fraudes fertile
Dès l'enfance est pétri de fard,
Il sait colorer avec art
Le fiel que sa bouche distile.
Et la morsure du serpent
Est moins aigué et moins subtile
Que le venin caché que sa bouche répand.

Toute âme honnête aime à faire le bien. La plus douce satisfaction que nous puissions éprouver est celle d'avoir soulagé l'infortune d'autrui. La charité est l'une des vertus dominantes du christianisme, et elle est si justement considérée comme base de toute religion, que c'est aux ministres des autels qu'est confié presqu'exclusivement le soin de l'exercer. Aussi voit [43/44] on les personnes pieuses consacrer partie de leur fortune à des donations dont la répartilion est laissée à des ecclésiastiques; accepté avec reconnaissance ce legs les met à même de répandre l'aumône avec un discernement qui en double le prix: donner est souvent très aisé; bien donner est toujours difficile.

La charité et la bienfaisance sont surs mais ne sont pas rivales. La bienfaisance a fondé des établissemens où sont traitées toutes les infirmités humaines sans distinction d'âge ni de cause: les hôpitaux s'ouvrent à tous ceux qui souffrent physiquement. La charité au contraire est plus réservée dans la dispensation de ses libéralités: elle les place après enquête. Les hospices accueillent la vieillesse indigente ou le malade incurable; et, dans le monde, les chefs de l'église, dont le ministère est de porter les consolations et l'espérance au sein des familles affligées, deviennent naturellement les meilleurs juges qu'un coeur généreux puisse employer pour donner à propos.

Depuis la fondation de l'église Episcopale-Française à New York, un fonds spécial a été consacré à des actes de chanté et pendant longtemps le pasteur desservant en a été le seul dispensateur. Cette faculté, si honorable pour celui qui en est l'objet, paroit néanmoins se borner maintenant pour M. A. Verren, à une simple formalité bureaucratique. Peut-être [44/45] a-t-on pensé que plusieurs centaines de dollars laisées à sa disposition pour être distribuées, suivant son libre arbitre, par petite sommes, devenoient pour lui un surcroit d'embarras que venoit augmenter encore le nombre des misères qu'il avoit à soulager et sa facilité à répandre un argent si doux à donner. Ces détails de répartition d'aumônes se bornent donc aujourd'hui à signer un bon sur le trésor de la congrégation, bon, dont la minime importance est payée à la personne ainsi secourue. Toutefois la part ré-trécie qui lui est faite dans ce mandat d'intégrité, laisse encore à M. A. Verren le moyen d'exercer son despotisme et d'obéir aux plus fâcheux mouvemens de son coeur.

Depuis longtemps la caisse du trésorier de l'Eglise Episcopale-Française, s'ouvroit avec autant de justice que d'exactitude pour un ménage composé du mari et de la femme; le plus jeune des deux compte plus de douze lustres, dont six au moins se sont écoulés dans les soins et les devoirs conjugaux. Artisans pauvres, bornes dans leurs désirs, se contentant de peu, ils ont vécu du produit de leur travail. Chaque jour amenoit son pain, mais bientôt le froid des ans a diminué ces ressources si nécessaires, le besoin s'est fait sentir: accoutumés à mettre leur confiance en Dieu et à le remercier chaque jour aussi des bienfaits répandus sur eux c'est dans son temple qu'ils alloient l'implorer de [45/46] leur continuer la santé et les forces. Ce couple, ces vénérables patriarches du monde matrimonial fixèrent l'attention, et les bienfaits des fondateurs de l'Eglise Episcopale-Frangaise allèrent les trouver dans leur réduit; tels autrefois Philémon et Beaucis furent honorés et secourus.

Ces braves gens, instruits qu'ils pouvoient compter sur un secours si nécessaire à leur subsistance, se présentoient chaque mois au presbytère, avec confiance et pénétrés d'une profonde reconnaissance. Ils considéroient M. Verren comme le vrai ministre d'un Dieu de bonté qui ne les oublioit pas au déclin d'une vie longue, pauvre mais toujours irréprochable, et jamais ils ne pensoient même à murmurer lorsque M. Verren, oubliant que la manière de donner double le prix du bienfait, les renvoyoit pour les faire revenir plusieurs fois avant d'obéir à son mandat, mandat impérieux et sacré pour lui. Loin de soupçonner dans les motifs du pasteur une antipathie naturelle pour l'infortune, surtout celle de gens âgés, nos vieux époux s'en retournaient paisiblement, espérant, un autre jour, le trouver moins occupé.

M. A. Verren n'aime pas à se déranger sans [46/47] motif personnel, et comme rien ne le flattoit danâ la nécessité où il étoit d'écouter, d'accueillir et de servir des vieillards pauvres et isolés dans le monde où il se meut, s'agite et aime à briller, il s'irritoit chaque fois qu'il avoit a recevoir leur visite; et par suite de son impolitique mauvaise humeur, il les faisoit renouveller leurs demandes plusieurs fois sans excuse ni sans cause. A la fin, cette insistance de l'indigent, qui est loin de se croire importun, et cette obligation où est le dispensateur, de finir par lui accorder ce qu'il vient moins solliciter que recevoir, avoient rendu leur présence une espèce de persécution pour l'indigne révérend. Un jour son impatience éclate, sa colère l'emporte, il parle avec dureté, sa bouche prononce l'anathême contre l'homme et la femme qui restent confus, interdits, tremblant devant l'apôtre de Jésus Christ vociférant ces mots terribles: ' Allez à tous les diables."

Ah! Monsieur A. Verren,

"Quoi! Vous êtes dévot, et vous vous emportez!"

Pour bien apprécier ce que cette malédiction a de cruel et d'inhumain pour ceux qui en sont l'objet il ne faut pas oublier qu'ils sont fort âgés, très pieux et ont un respect, une sorte de [47/48] vénération poussée à l'extrême, pour leur pasteur. Au soir de la vie, déjà un pied dans la tombe et lorsque nous nous disposons à paraître devant notre créateur, le ministre de l'autel devient pour nous un intermédiaire sacré. C'est à lui que nous ouvrons notre âme et demandons si nous sommes en état de grâces, si nous sommes bien préparés à rendre compte d'une vie aussi longue. Plus nous sommes âgés, plus nos facultés ont baissé et plus de prix, plus do valeur et de poids a pour nous la parole de l'interprète de l'évangile. C'est clans de telles circonstances cependant que le révérend Verren, au lieu d'une consolante absolution envoie à tous les diables celui que Dieu lui dit de servir, lui enjoint de vêtir, de nourrir; ceux enfin auxquels il a ordre de donner des secours en argent.

L'âme émue, le coeur gros de larmes, l'esprit terrifié, nos bonnes gens s'éloignent du manoir inhospitalier de ce prélat au petit pied, et s'en vont, non où les a envoyés une bouche impie, mais à l'évéque On.......cositer leur cas et demander des conseil spirituels. Cet ecclésiastique si digne de sa haute position leur tient un langage consolateur, persuasif, conciliant: il les renvoie plus tranquilles, plus heureux. Mais il [48/49] n'a rempli son devoir qu'à moitié; il lui reste à réprimander. Il mande l'impérieux et colère Verren. Nos lecteurs peuvent présumer ce qui se passa entre ces deux hommes qui servent le même Dieu dans la même foi. Nous, nous nous bornerons à raconter les nouveaux sentiments que cet entretien a fuit naître dans le coeur de M. Verren.

"Dieu fit du repentir la vertu des mortels."

mais M. Verren qui n'a pas l'ambition de pratiquer une seule vertu, soit par inspiration soit par retour sur lui-même, jure et se promet que les époux Barbelet, car il nous les faut nommer, se repentiront de "leur infâme rapport."

Le conseil de l'église a décidé qu'une somme fixe, mensuelle sera désormais payée à ces vieillards, par le trésorier sans plus de formalité. Ainsi l'allocation n'est plus facultative, accidentelle ou d'habitude, elle devient maintenant un droit acquis.

Il est juste d'ajouter ici que par sa décision le conseil ayant autorisé le trésorier à payer, chaque mois, ce secours, directement à Barbelet, il affranchissait M. Verren de ce qui étoit pour lui un insupportable assujétissement. Maisdans cette [49/50] mesure d'humanité, de sagesse et de prévoyance, le conseil avoit encore fait la part de chacun; voici comment: le secours prescrit est trop faible en raison des besoins du pauvre ménage, et faculté est laissée à M. Verren de l'augmenter de temps en temps, par un bon additionnel qu'il est autorisé à délivrer au gré de son jugement.

Cette part faite ou laissée à l'arbitraire de son bon coeur ou de sa charité est un piège où sa perversité le fait encore tomber. Quand nous disons piège, nous ne prétendons pas, et loin de nous en est la pensée, dire que le piège est intentionnel; mais tout accidentel que les circonstances le rendent, M. Verren ne saura pas l'éviter. A la demande d'un secours supplémentaire, le révérend reste sourd, ou, pour être exact dans ce simple exposé des faits, nous dirons qu'il prête bien l'oreille aux motifs trop plausibles de la demande, il est tout disposé à y faire droit, à accorder sa sanction, sa signature, mais à une condition à laquelle Barbeletne peut souscrire. Verren tient bon; il persistera jusqu'à ce que la faim, la misère, les privations lui aient procuré une rétractation pleine, entière, rédigée et préparée par lui, de la plainte a son évèque, ou bien jusqu'à ce que la calomnie soit encore une fois venue en aide à sa lâche conduite.

[51] Ministre d'un Dieu de miséricorde loin de pardonner à ceux qu'il dit l'avoir offensé, il se ligue avec les divinités infernales contre la vertu pauvre et sans appui dans ce monde ou Je puissant a trop souvent raison.

En vain les époux Barbelet se présentent à M. Verren, il ne craint pas d'exiger d'eux qu'ils signent au préalable une déclaration qu'il sait être mensongère. Leur refus ne le fait pas changer de détermination: "Signez, ou vous n'aurez rien." Ils ne veulent pas signer et malgré les privations auxquelles ils sont en proie dans la rigoureuse saison de l'hiver, ils ne signent pas. Ah! c'est que l'on ne commença pas à plus de 60 ans à faire une bassesse; d'un trait de plume on ne salit pas toute une longue carrière de probité. Voila ce que M. Verren ne peut pas creire, lui!

Cet homme n'est pas encore satisfait.

Barbelet et sa femme ne cessent d'aller au temple, bien qu'un ministre indigne y fasse entendre sa voix hypocrite; ils y vont, non pour lui, mais pour l'Etre qui voit et juge tout. Leur présence gène Verren. Si pour certains coeurs rien n'est pesant comme un bienfait, pour l'injuste et le méchant rien de plus poignant que la vue de ceux [51/52] qui ont droit de les accuser; tant il est vrai qu'on ne sauroit en imposer au cri de la conscience!

Cette vue, cette présence, notre révérend veut s'y soustraire; il lui faut, à tout prix, perdre ceux qu'il a osé envoyer là où nul espoir n'est permis. Il ne reculera devant aucun motif, aucun moyen; le crime même lui sera en aide, il invoquera son secours.

"Tant de fiel entre-t-il en l'âme d'un dévot?"

Les lettres anonymes qui tant de fois lui ont servi à satisfaire ses vengeances, sont, dans ces circonstances des armes trop impuissantes, il lui faut le parjure, mais le parjure revêtu de toutes ses formes. A cet effet il s'ouvre à un des membres du conseil de l'église: il lui dit combien il est malheureux; il lui exprime les angoisses auxquelles il est en proie et il lui avoue qu'il ne goûtera de repos et de satisfaction que lorsqu'il n'aura plus sous les yeux "ces Barbelel." Il ose alors prier, conjurer, supplier ce conseiller de se porter, en plein conseil, accusateur de ces vieilles gens et de déclarer ouvertement, '' qu'ils tiennent une maison de prostitution." Cette affirmation lui suffira pour les chasser du temple, leur en interdire l'entrée; suppléera à leur refus de [52/53] rétractation et le justifiera dans toute sa conduite à leur égard.

Foedius hoc aliquid quandoque audebis?

Toute l'éloquence de M. Verren échoua dans cette occasion auprès d'un homme qui jusques là cependant n'avoit eu que trop de faiblesse et de condescendance à se faire le confident et l'instrument de ses mauvaises actions; mais il est un terme où s'arrête même un trop servile dévouement, et ce terme, M. Verren a su le trouver. Un premier refus ne le décourage pas; il revient plusieurs fois à la charge et se rend si pressant, si importun et même si impérieux que le membre du conseil est forcé de se retirer entièrement des affaires de l'Eglise-Episcopale, afin de briser tout rapport avec M. Verren qui est devenu pour lui par trop méprisable et trop odieux.

Les époux Barbelet, toujours sans toucher une aumône additionnelle aux faibles secours votés par le conseil, fidèlement payes par le trésorier, sont en proie à milles petites privations, par suite de leur noble refus; mais ils n'en continuent pas moins d'aller à l'église; il est probable que c'est le seul lieu ici bas où eux et le pasteur se [53/54] rencontreront, car dans l'autre monde le juste et le méchant ont chacun son séjour séparé et nos vieillards n'iront pas où M. Verren vouloit qu'ils le précédassent.


CHAPITRE CINQUIEME.

Maxima debetur pueris reverentia.
Nondum experta novi gaudia prima ton.
.......Nulla reparabilis arte
Laesa pudicitia est.

Parmi les familles au sein desquelles le révérend était bien accueilli, se trouvait celle de M. C'-------- dans Duane Street, qui pensait rencontrer dans l'assiduité des visites d'un chef [55/56] de l'église, une protection et un bon exemple pour sa nombreuse famille qui se composait d'un fils et de plusieurs jeunes personnes; la conversation la plus variée, mais toujours empreinte de la morale la plus pure, avait rendu la présence de M. Verren presqu'une nécessité pour M, C---------qui, forcé de suivre en personne les affaires de son commerce, se voyait avec plaisir si bien remplacé chez lui; son fils venait de partir pour le midi de l'Union où son absence devait se prolonger; ses filles aînées se partageaient le soin de veiller à la tenue de la maison et d'en faire les honneurs; la plus jeune, comptant à peine quinze ans était encore tenue éloignée du monde et avait choisi pour sa rétraite favorite une pièce du bas de In maison, ayant vue et accès sur la rue.

Cette jeune personne, fraîche comme on est assez généralement à son âge, était néanmoins remarquable par un développement de formes et de gracieux contours très rares à ces premiers jours du printemps de la vie; son âme, dont rien n'avait encore troublé la sérénité, était disposée à la confiance; son esprit, cultivé par une bonne éducation, aimait la vertu que les dispositions naturelles de son coeur lui rendoient douce et chère. Son goût pour l'étude la tenait donc éloignée de [56/57] ses surs et le révérend paroissant seconder ce penchant pour la retraite, se promit de mettre à profit un temps dérobé à la présence et à la surveillance des autres membres de la famille. Sous prétexte de conférences religieuses et morales, il fixe les heures de ses visites qu'il a soin de distribuer de telle sorte qu'il ne craigne pas les interruptions, et qu'il fait de manière que leur fréquente et mystérieuse exactitude ne soit l'objet d'aucune remarque alarmante pour ses projets.

Après avoir ainsi de longue main disposé le théâtre où désormais va se dérouler sa lubrique tactique, il ne lui reste plus qu'à préparer la victime à souffrir le martyr avec une discrète résignation. Ce n'est pas à une Elmire qu'il s'adresse; ce n'est pas une doctrine mondaine qu'il faut paraphraser pour la faire cadrer avec ses secrets desseins; c'est une morale toute nouvelle qu'il lui faut créer, qu'il lui faut faire adopter comme morale simple, usuelle. La séduction emprunte un tout autre langage que la conversion; la séduction s'adresse à une âme neuve, si malléable de sa nature qu'elle prend aisément toutes les formes qu'on se plait à lui donner; la conversion au contraire a un double but à atteindre; il lui faut d'abord détruire des principes adoptés et mis en [57/58] pratique pour leur substituer des principes inverses et nouveaux; tartufe peut bien dire:

"Ah! ce n'est pas pécher que pécher en silence,"

parcequ'il lui faut avouer que l'action à laquelle il pousse sa victime est réellement un péché, mais qu'il perd de sa gravité en raison du secret dont on l'environne;

Le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait. Le scandale du monde est ce qui fait l'offense.

Mais le séducteur pour ne pas révolter le coeur qu'il se veut asservir, pour ne pas allarmer la vertu qu'il cherche à égarer, ne doit pas même prononcer le mot péché. Le sacrifice qu'il convoite ne lui semblerait pas entier, s'il ne le rendait simple et naturel. La singulière nouveauié du dogme qu'il prêche en un langage passionné, jette dans l'esprit d'une âme de quinze ans, un doute que vient augmenter le trouble des sens; cet instant, ce moment qu'il a préparé, qu'il attend, est celui du triomphe qui lui devient facile: mais par un rafînement de perversité il ne veut pas le saisir encore; il en jouit en silence, il le laisse s'enflammer, se consumer, s'éteindre dans une enivrante ignorance, pour ensuite repariiitre avec plus de puissance, plus d'abandon, et forcé de [58/59] solliciter en apparance l'entière abnégation d'elle-même; le pervers a conduit la victime à supplier le bourreau de hâter le sacrifice. Tel fût le plan de conduite dont M. Verren ne s'écarta pas un seul moment.

Plusieurs semaines se sont déjà écoulées pour mener à cette fin de capitulation une vertu qui s'ignore, mais qui veille encore par instinct de sa conservation. L'heure semble arrivée; aux paroles, aux discours, aux supplications, aux jeux dramatiques, Verren ose risquer l'attaque; ses mains impudiques se sont hasardées à vouloir seconder sa parole embrasée: mais si l'àme est restée ébranlée, incertaine; si l'esprit s'est troublé, s'est senti ému au milieu du cahos qu'à créé sans l'éclairer le dogme étrange du vice, la raison s'est fait jour, la dignité personnelle s'est révoltée contre la profanation grossière; cette fois encore l'innocence ne succombe pas.

Toutefois

S'il est avec le ciel des accommodements,

notre séducteur en fait avec ses sens; dans son dépit il dit avec Dryden.

If Jove and heav'n my just desires deny,
Hell shall the pow'r of heav'n and Jove supply.
[Virgile a dit aussi: Flectere si nequeo Superos, Acherontas movebo.]

Il implore son pardon; il s'humilie, mais le fourbe [59/60] ne rampe que pour mieux ressaisir sa victime; il arrache la promesse d'un oubli qui n'est pour lui qu'un sursis et dans le baiser de paix qu'il obtient, il s'en-nivre encore de volupté, ainsi qu'Héloise il s'écrie avec transport,

"Couvre moi de baisers, je rêverai le reste!

elle n'a pas encore succombé tout-à-fait, à chaque entrevue nouvelles attaques, niais aussi aussi nouvelle résistance, résistance sans découragement alors que l'assaillant est chaque fuis vaincu par l'épuisement naturel d'une énergie toute matérielle. Le danger presse, déjà la colombe ne frémit plus sous la main carressante du sacrificateur; déjà même le glaive sacré n'a plus pour elle un eiirayant aspect; elle igcore encore que semblable au couteau des Druides il fait couler le plus pur sang des victimes humaines, immolées aux autels dus prolânes; encore un peu plus de confiance imprudente et la jeune fille saura que jamais l'innocence et le mystère n'habitèrent longtemps ensemble. C'est dans ces circonstances qu'arrive la nouvelle que le frère, frère chéri et jaloux de l'honneur de la famille, que ce frère revient du midi et que bientôt il reprendra sous sa protection la sur qu'il n'a quitte qu'à regret.

A celle nouvelle, Verren s'allarme, il sent qu'il lui faut renonçer à ce qu'il a tant convoité; il faut lever le blocus sans même emporter l'honneur d'avoir fait [60/61] brèche; timide général et mal habile diplomate, inutilement il a consumé son temps, épuisé ses forces; sans la vaincre, sans la réduire, il laisse sa proie s'échapper de ses mains plus forte et plus riche de tout ce qu'il lui a révélé de puissance en ses charmes sans bénéfice réel pour lui-même; malgré sa perfidie, il est le jouet d'une ingénue.

Cependant en s'éloignant, en se séparant d'elle, il lui laissera un souvenir de leurs entretiens si mystiques.

A l'arrivée du frère, déjà les visites de Verren avaient cessé, et lorsqu'en 1839 la jeune personne quitta New York pour l'Europe, il lui donna un porte-crayon d'un riche travail et d'un prix élevé. Un écrivain philosophe a dit que les serments d'amour doivent s'inscrire sur le sable; le révérend veut le souvenir des siens plus durable sans toutefois qu'ils soient burinés.

Scripta manent,
Facta probant,

mais les simples marques du crayon s'effacent promptement; ingénieux emblème de sa passion pour la jeune voyageuse qui ne connut de foi qu'une pâle et fausse épreuve d'un amour véritable, dont les traces ne sauroient avoir une durée qui puisse un jour en accuser la passagère existence; telle seroit une pensée inscrite au fusain sur la feuille volante d'un album.

[62] Cette intrigue du saint homme ne lui fit perdre de vue ni sa sûreté personnelle ni ses intérêts. Sa sûreté lui conseilla la retraite avant d'avoir consommé sa victoire; et ses intérêts, s'il faut l'encroire en ses confidences, lui firent trouver le prix du fameux porte-crayon dans l'une de ces mille occasions qu'il avoit de faire le bien et de soulager l'infortuue.


CHAPITRE SIXIEME.

Un écrit anonyme n'est pas d'un honnête homme;
Quand j'attaque quelqu'un, je le dois, je me nomme.

La visite du prince de Joinville à New York fut la cause, il nous en souvient, de bien des tribulations d'amour propre. Chacun voulait être Français, et les Français ne s'entendnient cependant pas entr'eux. L'un vouloit ceci, l'autre vouloit cela. Le riche importeur, oubliant qu'il vit dans un pays libre, essay-oit de substituer l'aristocratie des écus à celle de la naissance ou du mérite. Les gens disposés à payer une forte somme d'entrée, dévoient seuls approcher le prince; il n'y avoit plus de parterre ni de balcon, tout étoit avant-scène; tel étoit le bon vouloir de ces matadores en demandant une distinction que dans [63/64] leur logique magazinière ils sont loin de pratiquer puisqu'ils placent sur un même rayon l'orgueilleux tissu du Thibêt, la modeste impression de Mulhouse et l'inaltérable de Jouy, que cependant ils n'y admettent pas au même prix.

L'artisan, au contraire, prenant, dans sa simplicité, très au sérieux les principes d'égalité qu'en France on a lui persuadé régner ici à l'absolu, demandoit une fête publique où il lui fût possible de voir de près l'un des fils de celui qui en 1830, il nous-en souvient très bien, serroit la main aux ouvriers de Paris, et buvoit avec eux le canon sur le comptoir du coin.

Les gens sensés- s'étonnoient d'un engouement si extraordinaire envers un jeune homme qui n'avoit pas encore fait ses premières armes et n'étoit connu que par "monsieur son père" comme a dit très spirituellement un homme très simple.

Les journalistes, eux, ne s'étonnoient de rien j mais rioient de tout, s'attendant en tous les cas à un bon diner; car dans ces occasions on les invite toujours, om presque toujours. Français ou non, parceque les amphitryons, lorsqu'ils ont de l'usage et de l'esprit, veulent qu'on chante le bon goût, l'ordre, l'intelligence et la libéralité qui ont signalé le fête.

Les gens en place seuls, s'occupoient très sérieusement des moyens de bien recevoir un fils de France, de s'en faire remarquer et de pousser leur fortune en [64/65] servant leur ambition. Ces derniers, selon nous, ctoient les seuls justifiables. Car enfin la visite d'un héritier de Roi dans un état d'outre-mer, est pour le fonctionnaire public, éloigné du tourbillon des mutations officielles de la Cour des Thuilleries, une aussi bonne fortune que peut l'être pour l'importcur une hausse sur la soie ou le coton; et pour l'artisan, une vogue nouvelle en faveur de tel accoutrement de toilette ou d'ameublement.

Or donc, lecteur, de tous les projets mis en avant par tous les beaux-esprits-ordonnateurs-officieux des réjouissances publiques des Français à New York, il en sortit un cependant, et comme il étoit raisonable de le supposer, qui permit de faire à Monsieur de Joinville une bonne et cordiale réception. M. le consul-général de France eut la lâche si difficile de dresser les listes d'invitation et de placer les convives, tâche pénible, presqu'un des treizièmes travaux d'Hercules. Chacun vouloit s'approcher du soleil; chacun prétendoit rester astre, peu consentoient à n'être que'satellites, personne ne vouloit demeurer étoile, c'é-toit presque comme l'armée Américaine, d'où nous ne voyons sortir que des officiers. Tous les coeurs ètoient aux nues; la suffisance se boursouffloit et s'apprêtoit à traverser jusqu'au troisième ciel; on va même jusqu'à prétendre qu'il y en a qui perd irent le peu qu'ils avoient, c'est-à-dire l'esprit, tant la rage de paraître étoit furieuse. Oh! M. de la Forest eut fort [65/66] à faire! Fit-il bien? Il fit de son mieux et personne ne se plaignit: le meilleur et le plus court éloge à tracer de sa conduite en cette épineuse ou qand nous disons que personne ne se plaignit, nous nous trompons peut-être, mais nous voulons dire que personne ne se plaignit ouvertement et avec raison. M. A. Verren fit dissidence. Le pourquoi est trop curieux pour ne pas être conté un peu au long. Les choses de rien demandent du temps pour paraître quelque chose d'important: voyez les ballons!

Alors même que sa condition de pasteur d'un culte Français ne lui auroit pas assuré un siège au banquet princier, M. A. Verren auroit remué tout New York pour s'en procurer un. Lui! manquer une occasion de se produire en public! Lui! qui à défaut du théâtre a choisi la chaire pour dire: "regarde, foule, c'est moi qui parle!" Lui! disons nous, se souvenir en cette occasion que l'obscurité est une vertu sacerdotale, allons donc! le supposer, seioit le croire capable d'un effort vers le bien,

M. le Consul-général lui envoya donc une lettre d'invitation.

On accusoit Socrate d'hypocrisie et on lui disoit que sur sa figure se lisoit l'indice de tous les vices. Le sage répondit: "C'est vrai, mais je me suis [66/67] connu de bonne heure et j'ai eu le courage de yain-cre mes mauvais penchans."

Si la physiologie était déjà connue des anciens, nous avons sur eux la phrénologie qu'ils ignoroient, et ces deux sciences réunies nous font découvrir sur la tête et la figure de M. A. Verren, la lâcheté, la cupidité, l'emportement, la ruse, la dissimulation, l'orgueil. Mais vous n'y lisez ni la bonté, ni la vénération, ni l'approbation et l'estime de soi. Ces tempes étroites, ce front rétréci et fuyant arrière, ce sommet en pointe presqu-aigùe ne laissent pas même place pour les vertus qui distinguent l'homme bon, bienveillant et religieux. Ces lèvres minces, ce nez pointu, ce regard oblique, ces yeux fascinant comme ceux du tentateur d'Eve, désignent la colère, la fourberie, l'improbité; le soin, la recherche de sa mise et de sa toilette, trahissent la vani té, mais ne révèlent par l'estime de soi.

Eh! bien, ces indices qui ne trompent pas l'observateur, se retrouvent tous dans les actes de sa vie privée ou publique. Il nous suffîroit d'analyser scientifiquement les traits caractéristiques de la tête de M. A. Verren pour le prouver au moins faux et hypocrite. Mais les adversaires de la science pourroient se ranger de son côté; ses amis, s'il lui en reste, l'excuser alors dans ses excès mêmes, d'où cependant nous pourrions aussi conclure que, en obéissant à son naturel, M. Verren se montre [67/68] scientifiquement méchant; mais pour éviter toute controverse à cet égard, nous citons ses actes. Chacun jugera, et nous nous trompons fort, ou l'expérience viendra encore à l'appui de la phrénologie.

Cependant le beau jour a lui: à l'heure indiquée, vêtu avec toute la coquetterie et la recherche d'un jeune abbé du temps de la régence, sentant l'ambre et la rosé, glissant sur la pointe des pieds et affectant ne rien posséder de la gravité de tenue et de contenance qui convient à un ministre d'un culte grave et religieux,notre révérend voltige.pirouette et papillonne devant sa psyché, préludant ainsi à sa présentation à S. A. R. L'abbé Bernis fit de même pour parvenir à se faire remarquer de Louis XV. Ses madrigaux avoient révélé en lui le courtisan homme d'esprit et avoient ouvert pour lui les portes de la faveur. Il devint le protégé de Madame de Pompadour qui peu voit tout alors excepté faire fléchir l'austère vertu du vieux Cardinal de Fleury, qui refusa toujours d'inscrire le folâtre abbé sur la liste des bénéfices, et répondit ironiquement au tableau qu'on lui faisoit de la position alors peu aisée de M. de Bernis, par ces vers si connus du jeune abbé

Quand on sait aimer et plaire
A-t-on besoin d'autres biens?

Mais le règne des Pompadour, des du Barry est passé, tout aussi bien que celui des Dubois; et bien que le révérend Verren ait devant lui ces fameux exemples [68/69] des succès de l'impudence et du vice il arrive un peu tard, et nous nous trompons étrangement s'il est jamais évêque ou cardinal.

Rien ne s'oublie si vite que le souvenir des privations auxquelles nous avons été en proie, ou bien encore l'apparence des vertus que nous devons avoir et pratiquer. M. Verren est très enclin à ces deux dispositions. Si le prélat, que nous eitions tout-à-l'heure, fit comme lui, ce fut beaucoup plus tard et lorsque la fortune l»eut tout-à-fait gâté; encore faut-il reconnaître chez l'abbé devenu cardinal, une légèreté d'esprit, que l'âge même put à peine affaiblir, et dans laquelle il n'est pas possible de découvrir une dureté naturelle du coeur. S'il fût par fois injuste envers le pauvre ou le talent modeste, ce fut sans réflexion, jamais pour le plaisir d'humilier et encore moins de se venger: mais lui avoit réellement de l'esprit.

On cite un de ses traits qui trouve assez volontiers sa place ici en ce sens qu'il se reflète un peu dans ce que nous connaissons de la hauteur du marseillais pauvre, devenu riche apôtre de l'Evangile.

Dans l'une de ses tournées comme primat, le cardinal fut regu à Rhodes, chef lieu de son diocèze, avec tous les honneurs dus à son rang. Il aimoit la musique; un jour on lui parle d'un pauvre desservant d'une petite paroisse hors de la ville comme [69/70] d'un chanteur émérite. Il répondit qu'il l'enteu-droit au dessert: les amis du modeste ecclésiastique crurent sa fortune assurée s'il parvenoità plaire a Monseigneur. Le prêtre arrive, il chante à ravir: le cardinal ne se lasse par d'entendre et de louer une voix aussi belle, aussi sonore; puis quand l'artiste au petit collet eut épuisé son meilleur répertoire, le Cardinal lui faisant signe de la main, lui dit; ''Assez, l'abbé, je suis content de de vous ..... mais vous devez avoir chaud, passez a l'office vous rafraîchir.------Merci, Monseigneur, j'y chante quelquefois, je n'y bois jamais!" répondit le préire offensé, lui qui étoit pour le moins d'aussi bonne maison que M. de Bernis. Ce mot fit rentrer le Cardinal en lui-même, et s'il punit la hardiesse d'une réponse trop méritée, du moins il n'opprima pas son inférieur. Dans sa conduite envers la famille Barbelet, M. A. Verren auroit bien dû imiter, n'eut-ce été qu'en ses erreurs, l'abbé devenu grand seigneur à l'écarlate.

Le lecteur nous pardonnera cette légère digression de notre sujet, mais il faut parfois détourner l'esprit de l'objet qui nous occupe le plus, car

"Un monstre peint sans art déplairait trop aux yeux."

[71] Or donc, pour en revenir à notre héros, le voilà, véritable frelon du clergé, se disposant à distribuer à droite, à gauche des salutations, a faire la courbette par-ci, balbutier un compliment par là, et à se donner pour paraître d'autant plus de mal, que perdu dans la foule d'invités il craignoit que personne ne fit attention a lui: eh! quand cela seroit, n'importe, il s'en dédommagera au di-ner. Placé près du prince il guettera et saisira, s'il ne la fait naître, l'occasion de placer un mot qu'il compose impromptu depuis huit jours; mais hélas! dans ce monde

Vanitas vanitatum
Et omnia Vanitas

un bruit vague parvient jusqu'à lui; il s'indigne, s'inquiète et est sur le point de déchirer ses manchettes tant il est hors de lui à cette fâcheuse nouvelle. Il envoie un fidèle émissaire et il apprend qu'en effet son couvert est indiqué loin du royal hôte que l'on fête, mais si loin, si loin que tout espoir s'évanouit de faire le beau parleur, l'homme d'esprit. En dépit de lui-même il lui faudra donc être modeste et réservé, Ce rôle il ne peut l'accepter, il ne l'acceptera pas: l'orgueil étouffe la raison. Sous prétexte que la place qu'on lui a assignée n'est pas celle qui convient aux dignités [71/72] dont il est revêtu, il ne se présentera pas même au salon de réception, il espère peut-être briller, lui aussi, par son absence; mais il se trompe; elle est à peine remarquée, et facilement remplacé là comme ailleurs, on oublie bien vite que même il avoit été question de lui. Ses frais de toilette perdue ne sont rien, ses répétitions de coulisses ne seront pas tout-à-fait inutiles; elles seront pour une autre occasion, mais sa mortification portera ses fruits. Jamais acteur sifflé ni auteur tomber ne maudit plus cordialement une "stupide majorité."

Il pense aux moyens de calmer l'irritation de son amour propre. Le ciel n'avoit rien à faire la dedans, mais lui qui se prétend ministre doté d'en haut, fait remonter jusqu'au ciel ce qu'il se plait à appeler une injure d'autant plus criminelle qu'elle a été préparée à dessein. Il est de ces gens qui savent couvrir

des intérêts du ciel leur fier ressentiment

Pasteur d'un culte réformé il veut marcher l'égal du chef de l'église-mère. A force de réfléchir à ce qu'il lui faut faire il est obligé d'arriver à cette fâcheuse conclusion que les torts sont bien du côté de son trop susceptible orgueil et que s'il [72/73] crie à l'indignité, il joindra le ridicule au scandale. La crainte du bruit le retient dans les limites de la prudence; mais cette transaction forcée avec sa position ne fait qu'ulcérer sa blessure.

Sur ces entrefaites, un journal, très innocent sous tous les rapports, publie les détails de la fête. Chaque ligne est une nouvelle mortification. M. A. Verren trouve tout ridicule, stupide; article, journal, éditeur, rédacteur, fête, ordonnateurs, prince, poëte, churs, toasts; tout enfin étoit à donner des nausées, à faire bailler, enfin presqu'un mauvais sermon: Verren s'y con-noit.

Cette publicité des détails d'une fête, qui ne pouvait être brillante, privée de l'éclat qu'y au-roit répandu sa présence, lui suggère alors l'idée de déverser toute la bile qui l'oppresse sur l'honorable fonctionnaire public qui avoit fait de son mieux pour contenter tout le monde, respecter l'étiquette et obéir à toutes les convenances.

Il prend la plume, mais une réflexion lui traverse l'esprit; car il en a parfois; il craint qu'au milieu de son style on ne reconnaisse un convive [73/74] mécontent ou désappointé; et comme il est le seul, il ne s'exposera pas cette fois: il attendra.

Une autre occasion ne tarde pas à se présenter. Le même journal dont nous parlions tout-à-l'heure consacre quelques lignés à l'éloge mérité d'un fonctionnaire public français qui avoit obtenu de son gouvernement un congé qu'il s'empresse fie venir passer en fumille auprès de M. le Consul-général. Ah! voilà une bonne fortune pour le lâche nux aguets; vite une lettre bien méchante, bien acérée contre celui qui l'a empêché, dit-il, de s'asseoir sur le pan de l'habit de M. de Joinville. Il va attaquer le gendre et le beau-père, d'une pierre faire deux coups. "Vite, mon secrétaire, copiez moi ce brouillon!"

De toutes les petitesses dont sa lâcheté est capable nous allons exposer peut-être la plus ridicule et la plus odieuse à la fois. Nous voulons faire connaître M. Verren sous toutes ses faces et ne rien laisser à désirer à nos lecteurs. La lettre suivante a été écrite de sa main, rédigée par lui; par lui aussi envoyée à M. le Consul-général. C'est un ministre, un pasteur, un homme d'éducation qui emprunte un pareil langage, un pareil style envers un haut fonctionnaire public [74/75] et cela sans motif, sans provocation, sans excuse possible, admissible. Ici rien n'est déguisé, c'est bien M. À. Verren qui se dégrade, qui s'avilit à plaisir: son naturel perce. S'il se fût borné à une lettre anonyme piquante, spirituelle, comme il eut pu la faire, et comme assurément il l'eut faite, s'il eut su qu'un jour le véritable auteur en seroit connu, on pourroit lui pardonner peut-être; pareeque tout honnête homme dit avec le bon Andrieux.

Aux travers de l'esprit aisément je fais grâce.
Mais les fautes du coeur, jamais je ne les passe.

Que penser désormais des méditations, du recueillement de cet ecclésiastique, si, seul avec lui-même il ne craint pas de s'exprimer ainsi? Mais assez tenir nos lecteurs en suspens; voici le style de M. A. Verren.

"Impudent canaille, la honte du nom Français dans ce pays, dis nous un peu et par la voie de ce fameux Courier des Etats-Unis combien tu as payé de bouteilles d'eau-de-vie et de fois le B'-------- [Dans l'original le mot y est tout au long.] à cet aliboron bridé, emmuselé de Behr, pour écrire sur son recueil d'asinianas le ridicule article au sujet de cet autre niais digne [75/76] d'être entré dans ta famille, Hauteville. Exécrable animal, brigand d'air, de tournure et de fait, c'est bien à toi de ne jamais sortir ni aller nulle part sans tes deux anges gardiens, comme dit l'autre, sans quoi je te fourrerais une gifle la première fois que je rencontrerois devant moi ton dégoûtant museau."

A la fin du volume nous donnons un fac simile de l'original.

La grossièreté de cet écrit suffit à elle seule pour couvrir à jamais son auteur d'infamie. Pas une parcelle de ses injures nesauroit aller là où il les a toutes dirigées, la fange ne mord pas sur le marbre. M. de la Forest fut informé du nom de l'auteur de cette lettre anonyme; on l'invitait à en tirer une vengeance méritée; il se contenta de dire avec J. B. Eousspau,

Moi, j'aime mieux pardonner une injure,
Que d'illustrer un faquin ignoré.

Nous, qui ne sommes pas encore injuriés par M. Verren, nous pensons différemment et nous illustrons notre faquin en rabat.


CHAPITRE SEPTIEME.

L'HOMME est un etre bien incomprehensible! à l'étudier on est parfois porté à croire que les payens valoient mieux que nous qui adorons un Dieu de bonté. Au moins eux ne mentoient pas à leur croyance religieuse, et chacun payoit son culte particulier à la divinité sous l'influence ou la protection de laquelle il aimoit à se ranger. L'ivrogne se livroit à Bacchus; une Phrynée se vouoit à Venus et honoroit Lucine; le guerrier suivait Mars qui ne connut jamais un lache ni un poltroon parmi ses desservans; les fripons, les fourbes, les voleurs et les amans redoutoient Jupiter, mais s'enrôloient souls les ailes de Mercure. Nous, nous reconnaison un Etre [77/78] suprême, bon par essence, et tout en voulant l'honorer et le servir, nous commettons toutes sortes de crimes; nous sommes plus coupables que les payens, car nous sommes par dessus tout hypocrites et parjures.

M. A. Verren, comme ministre, trahit tous ses devoirs, toutes ses obligations. Il est dur envers les pauvres, perfide envers ses amis, infidèle envers sa femme, blasphémateur envers Dieu, et pourtant, écoutez-le parler, il est le digne apôtre du saint évangile. Ce n'est pas tout de se montrer si mauvais prêtre, comme homme il est encore plus incompréhensible. Lui, dont les passions n'ont pas de frein; lui qui se repaît d'égo-isme, lui qui se délecte dans le revirement de ses affections; lui qui immole femme, ami, maîtresse et foi au gré des besoins qui le dévorent, il réserve pourtant le peu que le ciel lui a donné de constance, pour son attachement au véritable compagnon de l'homme, au seul et dernier ami qui reste au pauvre. Il aime à la passion les chiens cette image vivante de la fidélité et du dévouement. Il ne quitte pas plus ses protégés que saint Roc ne quittoit son quadrupède

Pour un homme tel que le nôtre,
On doit être surpris, je crois
[79] Que Monsieur Verren, une fois,
Ait su prendre sur lui d'imiter un apôtre.

Notre saint-homme, c'est M. Verren que nous voulons dire, a pour la race canine mille soins, mille attentions, mille prévenances qu'il réfuse aux pauvres de sa congrégation. Il ne délieroit pas sa bourse poar donner un schelling à l'indigent, il y puise jusqu'à plusieurs fois cinquante piastres pour se procurer un chien ou pour payer un vétérinaire. Les viandes préparées par ses ordres et souvent sous sa direction personnelle sont fournies en abondance à ses favoris quadrupèdes. Vous nous demanderez, lecteur, quelle race monsieur préfère? c'est encore là un trait d'observation.

Monsieur Verren n'aime pas l'élégante et gracieuse levrette; l'intelligent et coquet caniche; le fier et courageux bull-dog; l'actif et persévérant terrier; l'infatigable et rapide chien de chasse; le patient et vigilant chien d'arrêt, il veut l'indolent et superbe terre-neuve.

Si nous ne pensions pas commettre un irrémissible péché en supposant que le digne révérend s'attend à passer tout droit de cette terre en enfer, nous pourrions croire qu'il veut à l'avance [79/80] se faire bien venir de Cerbère en flattant le gardien du logis, mais l'idée que le pasteur Verren pense jamais à se ménager quelques douceurs dans le noir séjour ne peut venir à l'idée de quiconque voit la peine qu'il se donne et les efforts qu'il fait pour s'y préparer une des places les plus incommodes que le Dante ait décrite aux méchants.

Quoiqu'il en soit de ses motifs réels, apparens ou secrets, toujours est-il qu'il donne pour se procurer des chiens de cette espèce, pour les nourrir ou les guérir quand ils sont malades de trop de santé, des sommes qui porteroient l'aisance dans bien des familles et rendraient la misère moins pénible au vieux M. Verren qui finit, à Marseille, misérablement sa vie.

Rien de prodigue comme un avare qui se met en dépense, dit un vieux proverbe Français; il est possible de paraphraser ce dit-on et de croire que nul n'est plus généreux et affectionné envers les animaux que celui qui se fait un jeu des affections humaines. Richelieu jouoit avec ses chats, et le sang que ce prélat versa sur les éehafl'auds pourroit à peine être lavé par les larmes qu'il fît couler. Pourtant il passoit des heures entières à contempler avec délices les jeux gracieux de jeunes chats. Toutefois il y avoit plus d'analogie, plus d'affinité physiologiques dans ce goût du cardinal qu'on n'en sauroit trouver dans [80/81] la manie de M. Verren qui semble être l'homme aux anomalies.

En mettant M. Antoine Veiren souvent en comparaison avec quelques grands noms historiques, nous faisons notre possible pour le venger de n'avoir pu approcher le prince de Joinville aussi près qu'il au-roit désiré, mais nos parallèles pèchent toujours, et ce n'est pas notre faute ni celle des grands hommes dont le nom se trouve sous notre plume; la faute est à M. Verren si malheureux dans ses rapprochements; on doit croire qu'il met sa gloire à être sans modèle, sans maître et sans imitateurs; s'il en est ainsi, cette fois il obtiendra nos vux pour qu'il en soit réellement ainsi, et qu'avec lui s'éteigne à jamais la race des fourbes, des hypocrites et, par dessus tout, des calomniateurs anonymes.

"--------- Présent le plus funeste
Qu'ait pu faire aux hommes la colère céleste."


CONCLUSION.

Nous sommes arrivé à la fin de la tâche que nous nous étions imposée, et nous ne pensons pas avoir trop ni trop peu dit.

Si nous en eussions dit plus, nous aurions trahi des secrets qui se sont pas les nôtres en propre, et nous aurions affligé bien des familles. Nous avons donc choisi nos exemples là où le moins de cicatrices étoient à r'ouvrir; là où une trop vive lumière n'anéantissoit pas une douce et paisible sécurité. Il y a des illusions qu'il faut être inhumain pour d'étruire.

Si nous en eussions dit plus on nous auroit aussi, avec raison, accusé de malice, de méchanceté, d'acharnement contre un homme qui nous est tout-à-fait étranger.

[83] D'un autre côté si nous en eussions dit moins, nos accusations devenant vagues eussent passé pour un amour du scandale, et un désir de notoriété vulgaire qui eussent émoussé nos traits et enlevé à notre conduite le caractèrede modération, difficile à garJer dans l'espèce, que nous nous sommes efforcé de con&erver.

Nous avons voulu être fort, juste, vrai. Il nous a donc fallu être concis dans la narration; avare dans le nombre des chapitres, et prudent dans le choix des faits.

Quatre points principaux nous voulions établir:

1. Dureté envers les pauvres.

2. Dissolution dans les moeurs.

3. Immoralité dans les principes.

4. Habitudes du vice et de la calomnie.

Nous croyons y être parvenu; notre mérite se borne non à avoir exposé, mais à avoir osé exposer un homme dans la haute position qu'occupe M. Verren. Un mot sur ncus-méme expliquera peut-être ce que l'on appèlera une grande témérité.

Engagé, en France, pendant plus de quinze ans dans la presse de l'opposition libérale, nous [83/84] nous sommes nourri de bonne-heure de la haine pour le despotisme, l'hypocrisie et le Jésuitisme. Dans un combat de chaque jour et chaque jour plus animé, nous avons payé souvent de notre liberté, de notre fortune, jusqu'à ce qu'en 1830 nous ayons aussi payé de notre personne, notre sincère attachement aux libertés publiques.

Les premiers succès de la révolution de 1830 changèrent notre position d'assaillant. Mais lorsque cette grande victoire républicaine ne fut plus considérée, et traitée que comme un simple événement, les circonstances ne nous perrnettoient plus alors de reprendre le rôle que nous avions rempli contre une dynastie envers laquelle nous n'avions jamais été lié par aucun sentiment de reconnaissance ou d'obligation personnelle. Nous pensâmes alors à nous assurer un avenir moins oscillant que ne le donne en général l'esprit ou la politique des partis.

Depuis notre séjour aux Etats-Unis, bientôt six ans entiers, nos vues se sont tournées vers l'économie publique et rurale; toutefois nous n'avons pas consacré nos loisirs à l'oisiveté: une polémique occulte, mais toujours décente, qu'en tout temps nous pouvons avouer, est venue souvent nou occuper, nous distraire et nous ramener à [84/85] nos habitudes de journaliste. C'est lorsqu'une trêve temporaire suspend ces jeux de notre plume qu'on a mis entre nos mains plus de matériaux qu'il n'étoit nécessaire, pour ranimer cette antipathie de toute notre vie pour les fourbes et les hypocrites, et nous faire sortir d'un simple badi-nage. En saisissant le vice pour ainsi dire corps-à-corps, nous obéissons à un sentiment aussi inné en nous que peut l'être, en l'homme que nous attaquons, l'oubli des vertus que nous aimons à honorer dans le caractère sacré dont il a su se faire revêtir. L'un de nous deux doit nécessairement succomber dans cette lutte que nous avons entreprise délibéremment, et pour nous, nous n'en redoutons pas l'issue. Le fracas de sa chute no troublera même pas le silence de la solitude dans laquelle nous aimons à vivre.

Inconnu et plus encore étranger à la société do New York, nous n'attendons rien d'elle; ni blâme, ni éloges, ni persécution, ni vengeance, ni félicitations ni remerciements. Sur notre passage nous avons attaqué un méchant comme un voyageur écrase du pied la vipère qu'il trouve en son chemin. Son action est naturelle; elle n'est pas méritoire; de même nous estimons la nôtre.

P. B.


FAC SIMILE.

Il en est des lettres originales que nous avons entre les mains comme des autres matériaux; l'embarras est de choisir celle dont la lecture peut le moins offenser la morale, la modestie, et le moins blesser les personnes. Nous avons pensé que celle que nous donnons ici iemplissoit parfaitement notre but, du moins nous pouvons assurer qu'elle est la moins dangereuse sous ces divers rapports.

Ab uno disce omnes.

Tous les autres documents, lettres, témoignages, rapports, dit-on, bruits, etc. etc., nous les tenons en réserve, pour nous en servir, non plus en attaquant, car nous ne donnons jamais le coup de pied de l'âne mais en nous défendant, si l'audace et la folie se ré-unissoient pour nous traduire, soit devant les [86/87] tribunaux, soit devant l'opinion publique en raison de cet écrit.

Nous espérons qu'on appréciera notre retenue.

Le fac simile qui suit ne peut blesser la personne pour laquelle l'original a été fait; nous serons dès lors excusable d'y donner une publicité qui devient le complément indispensable de notre tâche.

N. B.--Les mots "comme dit l'autre" qui commencent l'antépénultième ligne ne sont pas. ainsi qu'on pourroit le penser, une simple expression triviale, mais une allusion à une autre mauvaise conception que M. Verren fit revêtir de forme dramatique par un M. M--------, et dans laquelle il faisoit intervenir M. de la Forest et plusieurs autres personnes estimables. Cet intermède en un acte, imprimé à un très petit nombre d'exemplaires; composé à l'occasion de la visite du prince de Joinville fut distribué par les soins de ses auteurs qui avoint eu la courageuse modestie de ne pas se faire connaître. Le tout est une pauvre production, sans esprit, sans sel, sans verve et qui, sous aucun rapport, n'a pu un seul instant fixer l'attention, et qui ne mérite, de notre part, aucune autre mention.


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