BROWN ET Cie LONGMANS, GREEN ET Cie. |
La question de la Réunion de l'Église Chrétienne et celle de la validité des ordinations anglicanes sont intimement liées l'une à l'autre. Ces questions ont été soulevées dernièrement de plusieurs côtés, et (sauf quelques exceptions qui sont d'une explication facile, comme motivées par la politique religieuse) dans une façon qui donne plus d'espérance aux amis de la paix qu'aux temps antérieurs de notre histoire ecclésiastique. Les lettres qui suivent sont la contribution d'un Anglais qui fait son premier essai de publication française. Il les recommande à la bienveillance des lecteurs, en les priant d'en excuser les fautes de style à cause de l'importance du sujet ou plutôt des sujets qu'on y traite. Certainement, nos vrais ennemis ne sont pas les autres chrétiens, mais l'athéisme, l'agnosticisme, l'irréligion et l'indifférence; et c'est une oeuvre de la piété chrétienne de prendre la moindre occasion d'adoucir les différences des églises séparées.
Les lecteurs de cette brochure entendront avec plaisir qu'ils puissent attendre la publication prochaine d'une seconde édition du beau livre du Rév. E. Denny, corrigé et augmenté en plusieurs endroits, et traduit en latin par le Rév. T. A. Lacey de Madingley près Cambridge, sous le titre De Hierarchia Anglicana. Ils trouveront là dedans presque tout ce qu'on puisse désirer pour la solution des difficultés que j'ai traitées ainsi rapidement dans les lettres qui suivent.
John Sarum
à Salisbury, le 9 novembre 1894.
TABLE DES LETTRES. I. La doctrine de l'Eglise Anglicane sur l'ordination
IL La consécration de Barlow et la formule Edwardienne
III. Sur la Réunion
I La doctrine de l'Église Anglicane sur l'ordination. A M. Fernand Dalbus, L'auteur des "Ordinations Anglicanes," Aux soins du Libraire Sueur-Charruey, à Arras. Palace, Salisbury, le 7 mai, 1894.
Monsieur,
J'ai lu avec plaisir votre dissertation sur les Ordinations Anglicanes imprimée à Arras cette année même. Nous remarquons avec un vrai intérêt les signes de renouvellement dans l'église de France, soit dans la voie de l'érudition ecclésiastique, pour laquelle elle était jadis si justement renommée, soit sous le rapport de la liberté chrétienne et de la charité envers les autres Églises dont l'Angleterre a souvent reconnu le bénéfice. C'est justement comme contribuant à ce renouvellement que nous sommes heureux de vous voir traiter cette question avec une telle science, une telle bienveillance, et surtout avec une telle piété. Nous ne sommes pas inquiéta touchant le jugement qu'on puisse porter sur nos ordinations; nous sentons trop vivement dans ces ordinations la grâce de Dieu, pour être ébranlés par la réprobation des hommes on raffermis par leur faveur. Mais nous estimons très fortement tout ce qui peut contribuer à la paix de l'Église et à l'union contre les ennemis de la foi.
Vous reculez, sans doute, Monsieur, devant les conclusions qu'on croirait que vous deviez tirer de la première et, j'ose dire, de la partie la plus importante de votre dissertation; mais j'espère qu'en étudiant plus profondement ce sujet, [3/4] assez difficile, vous pourrez rajuster la dernière thèse de votre ouvrage, sans vous compromettre devant les compatriotes, je ne dis pas seulement du Père Courayer, mais de l'illustre Bossuet et des autres docteurs de l'Eglise de France, qui ont porté leur témoignage en faveur de la validité de nos ordres.
Je conçois facilement qu'il soit bien difficile pour un théologien français, séparé de nous par tant de préoccupations, et ressentant vivement la reconnaissance due à l'Église de Rome pour son appui pendant les troubles de la Révolution et du premier Empire, de faire justice à notre constitution ecclésiastique. Or, je ne suis pas tout à fait surpris d'apprendre que vos confrères, en appréciant assez favorablement la valeur de votre dissertation, aient en même temps trouvé occasion de nous condamner comme hérétiques, négligents en matière de culte, et rationalistes par rapport à la foi catholique.
Cependant, j'ai lu la lettre de son Eminence le Cardinal Bourret, Evêque de Rodez, datée le 26 mars, 1894, et imprimée dans le "Monde," avec une certaine tristesse--surtout parce que je le crois un prélat instruit, pieux, veillant fidèlement sur son diocèse, et jouissant d'une réputation distinguée, en dehors comme au dedans de l'Église de France.
Vous concevrez aisément, Monsieur, qu'il n'est pas notre habitude de nous défendre en termes généraux contre des insinuations comme celles employées par le Cardinal, qui ne se souvenait pas sans doute qu'il pouvait blesser les prêtres et les fidèles d'une autre Eglise. Nous dirions plutôt--"Venez, amis en Jésus-Christ, étudiez librement chez nous notre manière de vivre, notre culte, nos réunions ecclésiastiques. Lisez nos livres de théologie, nos commentaires bibliques, nos histoires, nos discours. Vous y trouverez peut-être beaucoup qui vous pourrait être utile, comme unissant la science allemande avec la conscience et la bonne foi anglaise." Mais je dois y ajouter--notre Angleterre est [4/5] certainement un pays libre, et les prêtres, comme les laiques fidèles, n'ont pas peur de s'exprimer franchement même devant les évêques. C'est notre vrai soutien comme évêques de savoir qu'en prenant conseil avec notre clergé ou avec nos fidèles, nous pouvons compter sur un jugement sincère, et pas seulement sur un reflet de nos opinions déjà formées. Mais je ne crois pas, qu'en matière de foi catholique ou de zèle pour l'honneur de Dieu, un evêque français peut se reposer avec plus de sûreté sur la dévotion de son peuple qu'un de ses confrères anglais. Pour moi, comme pasteur indigne de cinq cent paroisses et de presque sept cent prêtres et diacres, je puis dire avec certitude que le nombre de prêtres négligents en matière essentielle de rituel est nul ou infiniment petit, et qu'il n'y a aucun rationaliste parmi tout ce nombre, quoique je connaisse personellement et intimement tous les membres de notre clergé.
Quant à la modification des cérémonies de l'ordination par des évêques quelconques, je n' ai jamais entendu dire une telle calomnie, et j'ai le droit de porter témoignage sur ce sujet, ayant passé toute ma vie où l'on traitait des questions ecclésiastiques, à Westminster, à Oxford, à Lincoln, à Rochester, comme dernièrement à Salisbury.
Son Eminence pose la question:--"Comment .. les Anglicans ordonneraient-ils des prêtres pour dire la messe et confesser les fidèles, alors qu'ils ne croient pas à la présence réelle ni à la confession?" Je pense que le Cardinal ne prétend pas donner une définition complète des pouvoirs de la prêtrise, quand il parle seulement de la messe et de la confession. Certainement, selon notre avis, le sacerdoce est une chose qui est beaucoup plus compréhensive. Nous croyons que c'est la représentation de Dieu à l'homme et de l'homme à Dieu. Mais nous admettons aussi que le sacrifice de l'Eucharistie est un des moyens principaux par lequel le sacerdoce chrétien exécute cette double représentation.
[6] Quant à la doctrine de la "présence réelle" c'est vrai que nos formulaires ne contiennent pas cette phrase--phrase de la métaphysique des écoles dont la signification n'est pas assez claire au peuple. Mais la doctrine que le Corps et le Sang de Notre-Seigneur sont en vérité donnés, pris et reçus dans le St. Sacrement, c'est la doctrine explicite et officielle de notre Église. En sus un grand nombre de docteurs des plus instruits et des plus loyaux à notre constitution ecclésiastique ont enseigné la "présence réelle" comme expression naturelle de la foi de l'Eglise anglicane. [Je citerai par exemple trois prélats des plus distingués du dix-septième siècle, qu'on peut traiter comme représentants des trois royaumes, L. Andrewes, évêque de Winchester (1618--1626), Guillaume Forbes évêque d' Edimbourg (1634), et Jean Bramhall archevêque d'Armagh (1660--1663). Voir à ce propos Andrewes Resp. ad Bellarmini Apologiam ad cap. i. 2 "Quod dixisse olim fertur Durandus neutiquam nobis displicet: Verbum audimus, motum seutimus, modum nescimus, praesentiam credimus. Praesentiam (inquam) credimus nec minus quam vos voram" (éd. Oxford 1851, p. 13; cf. serm. ix. 3 éd. Oxford 1841, t. ii. p. 335); Forbes Considerationes Modestae, de Eucharistia lib. i. cap. 1, qui contient toute une dissertation sur notre doctrine au même effet, tome ii. pp. 378--422 éd. Oxford 1856; Bramhall Works éd. Oxford 1842 t. i. p. 8 Réponse à l'Epître de M. de la Milletière, et cf. t. ii. 211, t. iii. 165. Voir aussi, pour une démonstration solide de cette doctrine selon nos formulaires, Rév. Guillaume Palmer A treatise on the Church of Christ, tome ii. pp, 526-533, éd. 2, Londres 1839.]
Quant à la question de la confession des fidèles, il sera peut-être utile de vous rappeler que la commission donnée à chaque prêtre à son ordination, et que je vais donner moi-même à la fin de cette semaine, le Dimanche de la Ste. Trinité, est conçue dans les termes suivants, récités à haute voix par l'évèque au moment où il fait l'imposition des mains, avec les chanoines de l'église cathédrale ou autres prêtres assistants:--
"Reçois le Saint Esprit pour la Charge et l'OEuvre d'un Prêtre dans l'Église de Dieu, qui te sont maintenant conférés par l'imposition de nos mains. A quiconque tu [6/7] pardonneras ses péchés, ils seront pardonnes; et à quiconque tu les retiendras, ils seront retenus. Et sois fidèle Dispensateur de la Parole de Dieu, et de ses saints Sacrements: Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen."
Puis on ajoute en donnant la Sainte Bible:--"Reçois l'autorité de prêcher la Parole de Dieu et d'administrer les Saints Sacrements, dans l'Église ou tu seras légitiment établi à cet effet."
Il est vrai que notre Église a aboli la loi qui crée une obligation de se confesser à un Prêtre au moins une fois par an à Pâques, mais elle prescrit à ses prêtres, quand ils font la visite des malades, d'exhorter la personne visitée à faire une confession spéciale de ses péchés dans le cas que sa conscience lui reproche quelque péché grave. Puis, à la demande du pénitent, le Prêtre doit donner l'Absolution de la manière suivante:--"Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a laissé à son Église la puissance d'absoudre tous les pécheurs qui se repentent et qui croient en lui véritablement, veuille te pardonner tes offenses par sa grande miséricorde: et par son autorité qui m'est commise, je t'absous de tous tes péchés, Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Amen." De même, les fidèles qui ne sont pas malades sont invités à se confesser à leurs pasteurs avec le but de recevoir le don de l'absolution, quand ils en éprouvent le besoin.
Lex orandi, Monsieur, est lex credendi: et le témoignage de l'action si imposante de l'ordination des prêtres selon notre rite, faite au milieu de l'une de nos grandes églises en présence de Dieu et d'une assistance recueillie de fidèles, doit être notre réponse aux paroles assurément un peu hâtives de votre correspondant, à fin de justifier notre croyance en cette matière. Il est certain qu'en nous écartant des formules et des rites de l'Église romaine en plusieurs endroits de notre Liturgie, nous nous croyons autorisés par la liberté des églises [7/8] nationales, mais nous n'avons pas voulu nous séparer de l'Eglise catholique.
Je me borne à ce moment à indiquer assez nettement notre sentiment envers cette question, laissant peut-être à une autre occasion la réponse que l'on pourrait facilement faire à votre conclusion.
Que Dieu vous aide à faire valoir la charité et l'amour de la paix chrétienne dans cette discussion nécessaire, que l'on doit poursuivre sans préoccupation et sans rancune!
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération et de mon estime, et croyez moi,
Votre serviteur fidèle en Jésus-Christ,
John Sarum,
(C'est à dire Jean évêque de Salisbury).
II. La consécration de Barlow et la formule Edwardienne. Réponse à un Curé français. Palace, Salisbury, le 21 juin, 1894.
Réverend et honoré Monsieur,
Ayant terminé les affaires les plus pressantes de ma Visitation triennale, j'ai enfin le plaisir de prendre la plume pour répondre plus à loisir aux questions que vous avez posées si courtoisement dans votre bienveillante lettre du 30 mai, dont j'ai déjà accusé la réception dans ma note du 5 juin.
Vous avez lu, Monsieur, ma lettre du 18 mai à M. Fernand Dalbus. Vous connaissez donc en général nos sentiments sur le sujet de l'ordination. Mais vous voulez savoir ce que nous répondrions aux difficultés soulevées par ce qu'on enseigne chez vous sur nos ordres, dans les manuels français ou latins qui sont en usage dans vos séminaires, que voici:--(1) "que Matthieu Parker, archevêque de Cantorbéry au seizième siècle, tige de tout l'épiscopat anglican, n'a pu recevoir l'ordination épiscopale de Barlow, puisque celui-ci ne l'avait pas reçu lui même."
(2) "que la formule de consécration qui se trouve dans le Kituel d'Edouard VI, encore en usage, je le crois, dans votre église, est insuffisante. Vos compatriotes eux-mêmes ont si bien senti qu'elle était défectueuse que sous Charles II ils l'ont changée et complétée."
Vous ajoutez trois questions, assez intéressantes, mais je dois répondre aujourd'hui seulement à ces deux.
(1) Je suis fâché de voir ce que vous écrivez sur le cas de Barlow, parce que cette assertion est sans doute une calomnie inventée pendant la controverse au commencement du dix-septième [9/10] siècle, longtemps après la mort de Barlow, pour éviter une conclusion qu'on redoutait. Barlow, qui mourut en 1568, était toujours de sa vie reconnu comme évêque. Il prenait sa place dans la chambre des Pairs du Parlement; il assistait comme évêque de la province à la consécration des autres évoques; il donnait des fermes à bail et soutenait des procès touchant les droits spirituels et les biens ecclésiastiques de ses sièges (car il en avait trois en succession)--des choses qu'il n'aurait pu faire, selon nos lois et nos coutumes, sans avoir la consécration légitime.
Pendant sa vie personne ne s'en doutait autrement: quoique les ennemis acharnés du nouveau régime, comme Harding, Sanders, Bonner et Stapleton, se seraient emparés ardemment d'un instrument si fort et si propre à leurs propos, s'ils avaient pu le faire. Car ils disaient tout ce qu'on pouvait imaginer contre la validité de nos ordres. Mais quatre-vingt ans après sa consécration--qu'on date, selon toute probabilité, le 11 juin 1536--et quarante huit après sa mort, quand les témoins furent tous décédés, un certain Dr. Champney, Anglo-Romain outré, avança cette calomnie en 1616, au milieu de la controverse qu'on faisait alors sur ce sujet. En 1613 François Mason avait publié son beau livre La consécration des Evéques dans l'Église d'Angleterre, dirigé contre les imputations de Bellarmine, Sanders, Bristow, Harding, Allen, Stapleton, Parsons, Kellison, Eudemon, Becanus, etc. Personne d'entre eux n'avait douté la consécration de Barlow. Il fut nécessaire aux adversaires de répondre. Champney répondit comme je l'ai dit, en affermissant que Barlow lui-même ne fut jamais sacré évêque parce qu'on ne trouva pas la notice de sa consécration dans le Registre de l'archevêque Cranmer. Mais ce Registre, qui est bon témoin pour ce qu'il contient, a trop de défauts d'omission pour ce qu'on puisse en tirer une conclusion négative. Mason répliqua que le procès-verbal de la consécration du fameux Gardiner, évêque de [10/11] Winchester, y manque également, et il aurait pu ajouter qu'il y a quatre evéques en dehors de Barlow (Fox de Hereford 1535, Sampson de Chichester 1536, Skyp de Hereford 1539, Day de Chichester 1543) dont les confirmations canoniques sont enregistrées dans ce livre, mais sans être suivies par la procès-verbal de leur consécration--petite notice de quelques lignes, qu' on pouvait facilement oublier, vu que la consécration était souvent déléguée aux suffragants de la province et célébrée hors de Lambeth. [Vindiciae ecclesiae anglicanae, Lond. 1638, p. 369 (lib. iii. c. 10 § 7) contre Champney p. 489.]
J'ai souvent examiné ce Registre, et j'en connais bien le caractère défectueux, quoique ce soit un livre d'une grande valeur et utilité pour tout ce qu'il contient. C'est un livre composé de différentes feuilles de parchemin cousues ensemble, écrites par des mains diverses, et contenant une multiplicité de documents formels, dont plusieurs ont été commencés sans être jamais terminés etc., mais toujours en bonne foi.
Vous savez aussi, Monsieur, que Barlow ne fut pas le seul consécrateur de Parker. Il y avait trois autres--et les dates de leurs consécrations peuvent être déterminées avec certitude--c'est à dire (1) Jean Hodgkins sacré, selon le vieux Pontifical et avant la promulgation de la Bulle de Paul III, [Cum Redemptor noster 17 déc. 1533 contenant la Balle Eius qui immobilis.] suffragant de Bedford, le 9 déc. 1537, à l'église de S. Paul, Londres; (2) Milo Coverdale, sacré le 30 août 1551 à Croydon comme évêque d' Exeter, et (3) Jean Scory, sacré au même temps comme évêque de Rochester--les deux derniers selon le rite Edwardien,--dont on a fait usage la première fois le 29 juin 1550 à la consécration de Jean Poynet, aussi de Rochester, depuis 1551 transféré à Winchester.
Tous les quatre déjà nommés, Barlow, Hodgkins, Coverdale [11/12] et Scory, imposèrent leurs mains sur la tête de Parker, en disant en Anglais "Reçois le Saint Esprit" etc., et puis ils lui livrèrent la Sainte Bible dans les mains avec la charge ordinaire selon notre rite. Barlow fut certainement président de cette assemblée; il a fait les interrogatoires et a dit la Litanie; mais il ne fut pas le seul qui fonctionnait. Et sur la question de la position des évêques assistants à une consécration je puis vous rappeler peut-être des paroles du savant Martène:--"An vero omnes qui adsunt episcopi cooperatores sint an testes tantum consecrationis inquiri posset. [De antiquis ecclesiae rit. lib. I. c. 8, art. 10, sec. 15, tome ii. p. 33 Rouen 1700. Cp. aussi Mason Vind. eccl. angl. p. 371.] Verum non tantum testes sed etiam cooperatores esse citra omnem dubitationis aleam asserendum est." Mais les trois évêques y furent pour plus que de simples assistants. Ce fut une occasion très importante, et tout le monde en connaissait bien l'importance. Or on voulait, je crois, suppléer la place d'un archevêque par le seul moyen possible, c'est à dire par une cérémonie où quatre evêques pouvaient presqu'également prendre part à transmettre la grâce de la succession épiscopale.
C'est vrai aussi que, quoique Parker soit "le tige de tout l'épiscopat anglican" si l'on y compte seulement le consé-crateur principal; si l'on compte aussi les consécrateurs secondaires on pourrait nommer Marc-Antonio de Dominis, archevêque de Spalatro, et Edmund Bonner, évêque de Londres, qui ont contribué à la succession du célèbre archevêque Guillaume Laud.
(2) La seconde difficulté, Monsieur, c'est que la formule Edwardienne est insuffisante, selon le jugement de nos adversaires, et, on voudrait dire, selon le nôtre aussi. Je réponds à cette dernière objection, que le changement fait en 1662, s'est fait probablement pour éviter les fausses interprétations des presbytériens qui osaient dire que notre [12/13] ordinal ne distinguait guère les fonctions des évêques de celles des prêtres. Voir la lettre sur ce sujet du savant Humphrey Prideaux, plus tard doyen de Norwich, datée le 25 nov. 1687. [E. Cardwell Conferences on the Book of Common Prayer p. 387--8, note, éd. 3, Oxford, 1849. On peut ajouter que la formall la plus ancienne de l'église de Rome ne faisait aucune différence sauf le nom.] Quoiqu'il en soit, c'est évident que le changement ne fut pas en matière ou forme essentielle, et que la formule Edwardienne est suffisante, surtout quand elle est prise en conjonction avec les autres paroles et directions du rite. Après l'Évangile on présentait, comme aujourd'hui, l'élu "pour être sacré évêque." On faisait la même prière qu'on fait aujourd'hui dans la Litanie--"Qu 'il te plaise de bénir celui-ci notre Frère élu et de faire descendre la grâce sur lui, afin qu'il puisse exercer convenablement la charge à laquelle il est appelé." Puis, à la fin de la Litanie, on suppliait Dieu de regarder son serviteur "maintenant appelé à l'oeuvre et au ministère de l'épiscopat," et, après les interrogatoires, on chantait le "Veni Creator Spiritus," comme nous faisons aussi aujourd'hui. Le changement dans la prière qui est associée à l'imposition des mains fut comme vous verrez ainsi qu'il suit:--
1550. Reçois le Saint Esprit et souviens toi de ranimer la grâce de Dieu qui est en toi par l'imposition des mains; Car Dieu nous a donné non l'esprit de peur, mais de puissance, d'amour et de prudence." [Le livre fut imprimé "Mense Martii Anno mdxlix," c'est à dire, selon notre compte moderne, au mois de mars 1550.]
1662. Reçois le Saint Esprit pour la charge et l'oeuvre d'un évêque dans l'église de Dieu, qui maintenant te sont commis par l'imposition de nos mains, au nom du Père et du Fils et du St. Esprit. Amen. Et souviens-toi de ranimer la grâce de Dieu qui t'est donnée par cette imposition de nos mains; Car Dieu, etc.
Cette formule est plus claire certainement selon notre rite actuel, mais le rite Edwardien est pleinement suffisant. Car [13/14] je crois qu'aujourd'hui presque tous les théologiens ont renoncé à la doctrine scholustiquc sur les essentiels de l'ordination. Nous croyons, comme les Grecs, que la matière de l'ordination pour les évéques, comme pour les prêtres, c'est l'imposition des mains, et la forme c'est la prière, sans déterminer les paroles comme obligatoires ou essentielles. C'est l'opinion je crois de Groar, de Morin, de Martène, de Liguori (comme la plus probable) et de beaucoup d'autres. Le Concile de Trente semble donner son appui à cette opinion quand il dit que les vrais ministres de l'onction sont les "presbyteri" de l'église--"ecclesiae presbyteros, quo nomine eo loco (S. Jacob v. 14 seq.) [Sessio XIV. de extrema unctione C. III.] non aetate seniores aut primores in populo intelligendi veniunt, sed aut episcopi aut sacerdotes ab ipsis [sc. episcopis] rite ordinati per impositionem manuum presbyterii," et quand, pour prouver que l'ordre est un vrai sacrement, il cite seulement les mots de l'Apôtre, desquels (après les paroles du Seigneur) est composé la forme Edwardienne, "Admoneo te ut resuscites gratiam doi," etc. [Sessio XXIII. de Sacramento ordinis C. III.] La formule de 1550 était, sans doute, composée à dessein seulement des mots de la Ste. Ecriture, et à cet égard elle peut être regardée comme supérieure à celle de 1662.
Je n'ai pas le temps d'écrire une dissertation sur la matière et la forme de l'ordination, mas je puis peut-être vous conseiller, Monsieur, quoique je crois bien que vous le connaissez déjà, d'étudier ce qu'a écrit le Pape Benoit XIV. dans son livre De Synodo Dioecesana à propos d'une détermination de la Congrégation du Concile sur ce sujet. [Lib. viii. cap. x. Ferrariae 1760 tome i. pp. 415-421.] C'est très clair et, je crois, très juste aux auteurs cités, et aussi beaucoup plus court que les dissertations des liturgistes par profession. Ce fut le cas d'un prêtre qui, par hasard, n'eut pas reçu les instruments. La Congrégation décida "totam [14/15] ordinationem sub couditione iterandam." Elle voulait suppléer l'imposition des mains par la tradition des instruments, et conjoindre les deux cérémonies, en déférant aux scrupules de plusieurs théologiens: mais elle ne voulait pas décider que l'ordination, sans la tradition, n'était pas suffisante. Ainsi elle ne réordonna pas simplement, mais "sous condition." Cependant tout le raisonnement de Benoit va prouver que ce n'était pas nécessaire, quoiqu' il s'exprime avec une certaine réserve prudente. Je puis citer aussi une décision très importante de la Congrégation du Saint Office du 9 avril 1704, confirmée en 1860, qui porte directement sur notre affaire. Elle décide la question comment on doit traiter les prêtres Ethiopiques ordonnés hâtivement par l'Archevêque qui passe devant eux en imposant les mains et en disant seulement Accipe Spiritum Sanctum. La Congrégation décide que, s'ils veulent se soumettre à l'église romaine, ils peuvent être admis sans ré-ordination. Je crois que feu le Cardinal Manning procura plus tard (le 30 av. 1873) un autre décret pour invalider la décision de 1704, mais la portée de ce dernier décret est très obscure.
Vous diriez peut être, "mais ils sont d'une église orientale, vous êtes de l'occident; et vous avez renoncé à la tradition des instruments, etc., etc., que les Abyssiniens n'ont jamais eu chez eux." C'est vrai, Monsieur, nous sommes de l'occident, et en beaucoup de matières sacrées nous voulons y rester, mais c'est à la tradition primitive occidentale que nous avons voulu nous rattacher. Pour notre défense il suffit de dire que la tradition des instruments est une cérémonie assez moderne dans l'église, ainsi que vous pourrez voir en consultant les auteurs qui ont écrit sur les Canons dits du quatrième Concile de Carthage, que nos théologiens prenaient, je crois, pour guide en simplifiant notre ordinal. Les scholastiques étaient, comme on peut voir, très ignorants en matière de rites et ils sont des guides [15/16] peu dignes de confiance. Cependant, je crois que pour vous le Pape Jules III. a tranché la question en donnant ses instructions à son légat le Cardinal Réginald Pôle, plus tard archevêque de Cantorbéry, pour la réconciliation de notre pays. Il voulait l'effectuer sans offenser personne sur le point des ordres, et il traita les ordres conférés "sans observation de la forme accoutumée de l'église," comme dignes d'être reconnus si les personnes ordonnées voudraient seulement se soumettre au légat. [Voir le Bref du 8 mars 1554 dans E. Cardwell Documentary annals of the reformed Church of England, i. p. 122, Oxford 1839, imprimé aussi par Buruet Hist. Réf. iii. 2, p. 289 sqq. Oxf. 1829.] En ce cas, et malheureusement uniquement en ce cas, on les traitait très doucement. La plupart des évêques Edwardiens, craignant ce qui devrait arriver, se réfugièrent hors du pays. Les évêques qui restaient, et qui ne voulaient pas se soumettre au joug papal, furent traités également mal, sans distinction de la forme sous laquelle ils avaient reçu leur consécration depuis la Bulle de 1538--c'est à dire comme hérétiques et schismatiques. [Kitchin de Llandaff, qui ne s'opposa pas au légat, resta dans son siège, sans dispensation particulière, et continua jusqu'au 31 oct. 1563, sous Elisabeth. Scory, l'un des consécrateurs de Parker, avait été réhabilité par Bonner et restitué "à son office pastoral," comme "son bien aimé confrère," avant l'arrivée de Pôle, mais il se re'fugia plus tard. Les autres évêques, qui restaient, sauf ceux qui furent brûlés, ont reçu, 3e crois, les dispensations du légat.]
Mais les prêtres qui voulaient se soumettre restèrent tous dans leurs bénéfices sans question faite. Tout porte à croire que le Pape et le légat s'inquiétaient seulement sur le schisme. Personne n'a trouvé aucune trace de ré-ordination sous le règne de Marie, quoique nous possédons les documents de la réconciliation en assez grande quantité.
Je sais bien que depuis 1704, et peut-être auparavant, l'Église romaine est accoutumée à ré-ordonnerles membres du clergé Anglais qui, en se soumettant au Pape, désirent exercer leur office sacerdotal. Mais je crois que cette coutume a été [16/17] adoptée sans raison véritable, je ne dis pas (cela va sans dire) selon nos idées, mais selon les principes même de l'Église catholique romaine--principes qu'on peut tirer des cas déjà cités. Ceux que j'y discerne sont (1) de traiter très doucement ceux qui se conforment a l'église romaine d'une autre église quelconque, et (2) de suppléer ce qu'on croit manquer, sans hasarder une répétition qui puisse encourir le crime de sacrilège.
Vous demanderez peut-être, Monsieur, pourquoi nous abordons cette dernière question? C'est premièrement, quoiqu'il peut vous sembler un peu chimérique, parce que nous sommes jaloux de l'honneur de l'église universelle, dont les églises unies à Rome font une très grande partie. Cette question irrite et scandalise, sans rapprocher les deux églises. Elle scandalise même les ennemis de la foi commune. C'est difficile de traiter fraternellement ceux qui nous ne traitent pas simplement comme schismatiques ou hérétiques, mais comme n'ayant point conservé les signes extérieurs d'une église.
Avant de parler des moyens de la réunion il faut admettre la validité de nos sacrements. L'église de Rome donna, au temps de S. Cyprien, un exemple de charité touchant une pareille controverse, celle de la validité du Baptême schis-matique ou hérétique. Mais aujourd'hui elle se trouve en cette matière elle se trouve (si je ne me trompe pas) devancée, en cette matière, par les églises de Russie et de la Grèce, et presqu' au niveau des églises des quatres patriarcats orientaux, qui rebaptisent tous ceux, catholiques et protestants, qui se conforment à l'église orthodoxe.
C'est une façon de montrer le dédain mutuel indigne des églises illuminées par le Saint Esprit, qui nous enseigne par l'expérience historique que les schismes ne seront jamais conquis que par la charité.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération, et croyez moi votre serviteur fidèle en Jésus-Christ, John Sabdm,
III. Sur la Réunion. Au même ecclésiastique. Palace, Salisbury, le 20 octobre 1894.
Révérend et honoré Monsieur,
J'ai reçu vos lettres du 1 septembre et du 10 octobre, l'une française, l'autre latine; et je vous remercie de toutes les deux.
Je n'ai pas oublié votre désir de savoir mes idées sur la question de la Réunion des églises, ni la défense générale de notre position Anglicane. En effet j'ai écrit une brochure De validitate ordinum Anglicanorum Responsio ad Batavos, qui va paraître en quelques jours, et dont je vous enverrai un exemplaire aussitôt que possible. [Epistola ad Rev'mum G. Gul Archevêque d'Utrecht, datée le 18 octobre 1894 et publiée par Brown et cie Salisbury et Longmans, Green et Cie Londres,] J'y ai traité principalement les difficultés soulevées contre notre Église concernant la doctrine du Sacrifice Eucharistique et le xxxi article de Religion de unica Christi oblatione in cruce perfecta, et l'absence de l'indication du pouvoir d'offrir le sacrifice dans notre ordinal. Je crois que mon petit ouvrage suffit comme réponse à la brochure émise par la Commission de l'église hollandaise, et j'espère que vous y trouverez quelque chose qui vous sera utile en formant une idée de notre position envers cette question, et des arguments qu'il faut envisager.
[19] Quant aux trois questions que vous avez déjà posées à la fin de votre lettre du 30 mai, je tâcherai de répondre, mais sans avoir le loisir à ce moment de le faire suffisament. Je me prépare pour un long voyage de quelques mois pour visiter nos églises aux Antipodes, et dans l'Amérique du Nord.
Les questions sont:--
1. Quelle était la véritable raison de la séparation du seizième siècle?
2. Comment on peut accorder cette séparation avec les paroles du Seigneur à S. Pierre?
3. Quel serait le moyen de la Réunion?
1. C'est difficile de juger des événements passés qu'on connaît seulement par les récits historiques des personnes intéressées de l'un ou de l'autre côté. Je juge néanmoins que cette séparation est, en grande part, une affaire de race. La souche de notre peuple est teutonique et elle aime mieux à s'organiser que d'être organisée de dehors. Les guerres des Rosés avaient ébranlé le pouvoir des nobles, et le roi et le peuple s'unissaient pour secouer le joug du Pape, qu'on n'aimait pas comme anti-national, et sous quel on s'inquiétait depuis longtemps. Mais le peuple et le clergé étaient tous les deux plus pratiques et plus religieux que la plupart du peuple et du clergé sur le Continent, et le roi voulait rester fidèle aux traditions légitimes et formelles de l'Église, hors la question de la suprématie papale. Ainsi, par la grâce et la providence de Dieu, nous possédons une organisation qui continue la succession apostolique du clergé, et nous assure les sacrements valides, et nous lie à l'Église primitive et apostolique.
La notice la plus courte de cette séparation doit faire allusion à l'amour de l'Écriture sainte qui marque notre théologie et notre culture populaire. On peut l'apercevoir très facilement en lisant notre dramatiste Shakespear, qui est plein d'allusions et de phrases bibliques, presque toujours, je [19/20] crois, sérieuses, et presque jamais, selon l'esprit moderne, moqueuses ou purement littéraires.
On sait bien chez nous que la doctrine populaire de l'Eglise du moyen âge fut bien éloignée de la Bible; et c'est cela qui empêche principalement la Réunion avec l'Église romaine moderne, surtout après la promulgation des dogmes de la Conception immaculée de la Ste. Vierge et de l'infallibilité et de la jurisdiction immédiate du Pape.
2. Pour moi la difficulté n'est pas d'expliquer notre séparation en face de ces textes, Tu es Petrus, Pasce agnos meos, Pasce oves meas, Confirma fratres--mais c'est de comprendre comment l'idée que l'Eglise de Eome soit l'héritière seule et personnelle de ces mandats ou de ces promesses, peut être prise sérieusement par les théologiens modernes. Cette Église a acquis sa position à l'égard de cet héritage par une ambition naturelle et pas tout à fait mondaine, et l'a défendue par des assertions fausses dont elle ne savait pas toujours la fausseté. Mais le fait reste que la position monarchique du pape s'est fondée sur une base qui n'est pas solide, ni comme système théologique, ni comme structure historique.
La question de la primauté est un peu différente de celle de la suprématie. La primauté peut être traitée simplement comme partie d'un système ecclésiastique, laquelle doit être laissée au jugement des Conciles assemblés de temps en temps. C'est possible que les Églises orientales puissent accepter la primauté de Rome, mais personne qui a la moindre connaissance de leur état actuel ne peut croire que la réunion avec l'Orient puisse s'effectuer sans la renonciation pratique de la prétension d'une suprématie "iure divino." C'est ainsi pour nous Anglicans.
3. Le moyen donc de la Réunion est en ce moment plus indirect que direct. La Réunion doit être précédée par un temps de mouvement spirituel et de rapprochements [20/21] personnels. On peut nommer plusieurs sentiments et plusieurs démarches qui pourraient contribuer à ce mouvement:--
(1) l'amour ardent de la fraternité chrétienne et de la vérité, hors de toute ambition personnelle, nationale, ou sacerdotale.
(2) la prière pour le St. Esprit et pour la paix de l'Église.
(3) la détermination conscientieuse de ne pas blâmer les autres chrétiens quelconques, séparés de nous par les dogmes ou les pratiques religieuses, sans la nécessité évidente de prémunir quelqu'un contre l'hérésie ou le schisme--et, quand la nécessité existe, de censurer nos voisins avec une vraie douleur et en se souvenant des circonstances exténuantes.
(4) les rapprochements personnels, poursuivis comme une oeuvre religieuse, et l'étude des problèmes ecclésiastiques dans les pays mêmes qu'ils concernent.
(5) la coopération des chrétiens sur les questions sociales et politiques, comme par exemple sur celle de l'éducation religieuse.
(6) l'offre des secours de la religion aux étrangers sans compromettre les lois et les coutumes ordinaires de nos églises.
La forme de l'Eglise du futur est un problème de la plus grande difficulté. Mais je crois qu'elle se dévoilera aux yeux des amis de la paix et de la vérité qui se détermineront à faire les démarches nécessaires avec fermeté et persévérance. Une tolérance mutuelle doit en faire grande part. Peut-être aussi faudra-t-il que l'on modifie les idées de la jurisdiction exclusive et territoriale par le récognition des différences de langue, de race, et de sympathie. Ces idées sont déjà modifiées, en quelque part, par la récognition des ordres religieux et des jurisdictions concourantes des Eglises unies. Il y a donc là un point de départ qu'on puisse utiliser pour l'avenir.
Il me ferait plaisir de vous rencontrer, Monsieur, après [21/22] mon retour, pour étudier plus à loisir les questions que vous traitez avec une telle bienveillance. C'est un lien très étroit que de désirer la paix de l'église, surtout quand la foi commune est menacée de tous côtés. Vous prierez sans doute pour nous, comme nous pour vous
Votre serviteur fidèle en Jésus-Christ,
John Sarum.
Project Canterbury